ntendu.
--Vous paraissez agite.
--Je le suis, en effet; vous saurez tout a l'heure pourquoi;
occupons-nous d'abord de diner, le reste viendra apres.
Ils monterent en voiture et se firent conduire a l'_Ours_, qui est un
restaurant etabli dans une prairie a quelques minutes de Bade; mais en
route Savine ne parla de rien, pas meme de la perte qu'il venait de
faire.
A table non plus il n'entama pas la confidence qu'il avait annoncee, et
Roger remarqua qu'il mangeait et buvait a fond en homme qui ne se laisse
pas couper l'appetit par les emotions: il s'etait fait servir de la
biere, du champagne et du cognac qu'il melangeait lui-meme dans de
certaines proportions et qu'il avalait a grands coups, car lorsqu'il ne
se croyait pas malade c'etait une de ses pretentions de pouvoir boire
plus qu'aucun Russe; et sa reputation avait commence a se fonder
autrefois a Paris par ce talent qui lui avait valu bien des envieux
parmi les jeunes gens de son monde.
Ce fut seulement au dessert, la porte close, qu'il commenca l'entretien
que, tout en mangeant et en buvant, il avait prepare:
--Mon cher Roger, il faut me repondre avec franchise.
--Vous savez bien que je parle toujours franchement.
--Comme moi, mais comme moi aussi vous ne dites que ce que vous voulez,
tandis que ce que je vous demande, c'est de repondre a toutes mes
questions sans rien taire, sans rien cacher. Comment trouvez-vous
mademoiselle de Barizel?
--La plus gracieuse, la plus belle, la plus charmante, la plus
delicieuse, la plus seduisante des jeunes filles.
--Je m'en doutais.
Il porta la main a son coeur avec le geste d'un homme qui vient de
recevoir un coup cruel.
--Puis, apres un moment de silence assez long, il poursuivit:
--Maintenant, autre question: Quel sentiment vous a-t-elle inspire?
--L'admiration.
--Cela c'est l'effet, mais cet effet, qu'a-t-il produit lui-meme?
Roger ne repondit pas.
--Je vous en prie; dit Savine en insistant, repondez par un mot:
l'aimez-vous?
--C'est une question que je n'ai pas examinee... par cette raison que je
ne pouvais pas l'examiner.
--Pourquoi?
--Parce que je n'aurais pu le faire qu'apres vous avoir pose moi-meme
certaines questions que pour toutes sortes de raisons il me convenait de
taire.
--Et que vous ne pouvez plus taire maintenant que nous avons aborde
cet entretien, qui, vous le sentez, doit etre pousse jusqu'au bout;
posez-les donc, ces questions, et soyez sur que j'y repondra
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