es mains tendues, mais, avant de
l'aborder, il s'arreta surpris, inquiet de lui voir les yeux rougis et
le visage convulse.
--Avez-vous donc des craintes? demanda-t-il vivement.
Elle comprit que le domestique qui avait recu Roger s'etait deja
acquitte de son role et que le duc croyait madame de Barizel malade.
--Non, dit-elle, aucune; ma mere garde la chambre tout simplement, ce
n'est rien.
--Mais vous paraissez troublee?
--Un peu nerveuse, voila tout.
Elle lui tendit la main, qu'il serra doucement, mais sans la retenir
plus longtemps qu'il ne convenait.
Ils s'assirent vis-a-vis l'un de l'autre, Corysandre dans le fauteuil,
Roger sur la chaise, qui avaient ete disposes par madame de Barizel.
Alors il s'etablit un moment de silence, comme s'ils n'avaient eu rien a
se dire.
Mais c'etait justement parce qu'ils avaient trop de choses a se dire
qu'ils se taisaient, aussi embarrasses l'un que l'autre:
Corysandre, parce qu'elle ne pouvait pas jouer la scene qui lui avait
ete apprise.
Roger, parce qu'il ne savait trop que dire, ne pouvant pas tout dire.
Les paroles qui emplissaient son coeur et lui venaient aux levres
etaient des paroles de tendresse: "Que je suis heureux d'etre seul avec
vous, chere Corysandre; de pouvoir vous regarder librement, les
yeux dans les yeux; de pouvoir vous dire que je vous aime, non pas
d'aujourd'hui, mais du jour ou je vous ai vue pour la premiere fois, et
ou j'ai ete a vous entierement, corps et ame." Voila ce que son coeur
lui inspirait et ce qu'il ne pouvait pas dire, car ce n'etait la qu'un
debut. Apres ces paroles devaient en venir d'autres qui etaient leur
conclusion: "Je vous aime et je vous demande d'etre ma femme; le
voulez-vous, chere Corysandre?" Et justement cette conclusion, il ne
pouvait pas la formuler; cet engagement, il ne pouvait pas le prendre
avant d'avoir recu les reponses aux lettres qu'il avait ecrites.
Jusque-la il fallait que, tout en montrant les sentiments de tendresse
qu'il eprouvait, il ne les avouat pas hautement, sous peine de se
mettre dans une situation fausse. Quand il aurait dit: "Je vous aime",
qu'ajouterait-il? que repondrait-il aux regards de Corysandre? Qu'il
ne pouvait pas s'engager avant... avant quoi? Cela ne serait-il pas
miserable? Il ne pouvait donc rien dire. Et cependant il fallait qu'il
parlat, se trouvant ainsi condamne a ne dire que des choses fades ou
niaises. Mais, s'il parlait ainsi, Corysandre ne s'en etonnerait-elle
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