de m'adresser. On dirait que c'est chez vous une
specialite. Bien souvent, vous m'avez fait souffrir, aujourd'hui que
j'ai un peu plus d'experience, vous m'interessez. Aussi ne vous ai-je
pas interrompu, curieux de voir ou vous vouliez en venir. J'avoue que je
ne le sais pas encore, car, si vous avez pour but de me faire renoncer a
ce mariage, vous devez comprendre qu'il est trop tard. Je suis engage,
et vous savez bien que je ne me degage jamais. D'ailleurs, tout ce que
vous venez de me dire, fut-il vrai et dut-il se realiser, que cela
ne m'arreterait pas. J'aime celle que je vais epouser, je l'aime
passionnement, et, dusse-je n'avoir qu'un jour de bonheur pres d'elle,
pour ce jour je donnerais tout ce qui me reste de temps a vivre. Vous
voyez donc que rien ne changera ma resolution... sentimentale. Mais,
alors meme que les sentiments qui s'ont inspiree n'existeraient pas,
je la realiserais cependant quand meme, car je veux me marier tout de
suite, et pour cela j'ai une raison qui, quand je vous l'aurai dite,
vous fera, j'en suis certain, m'approuver: cette raison, c'est que je
veux avoir des enfants afin que mon nom ne puisse point passer un jour
aux Condrieu.
Disant cela il regarda Mautravers en plein visage et il s'etablit entre
eux un assez long silence; puis il reprit:
--Ma fortune, je puis la leur enlever par un bon testament; mais pour
mon nom je ne puis l'empecher surement de tomber entre leurs mains que
par un mariage qui me donnera des enfants... et je me marie. Au reste
vous allez voir bientot que celle que j'epouse est digne non seulement
d'inspirer l'amour, mais encore de le retenir et de le fixer.
--Je n'ai rien dit qui fut personnel a mademoiselle de Barizel, j'ai
parle en general.
--Elle sera tantot aux courses; je vous presenterai a elle; quand vous
la connaitrez, vous serez peut-etre moins absolu dans vos theories.
--Est-ce que vous dinez ce soir chez madame de Barizel? demanda-t-il.
--Non.
--Eh bien, alors nous dinerons ensemble si vous voulez bien.
Comme Roger faisait un mouvement pour refuser:
--Bien entendu, vous aurez toute liberte pour vous en aller aussitot
que vous voudrez, de facon a faire une visite du soir a mademoiselle de
Barizel, si vous le desirez.
XXXI
Roger devait aller aux courses avec madame de Barizel et Corysandre, et
il avait ete convenu qu'il irait les chercher: pour lui c'etait une fete
de se montrer en public avec celle qui serait sa femme dans que
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