illeurs on doit apporter beaucoup de prudence dans la redaction de
cette lettre et c'est pour cela que j'ai besoin de vous. Vous connaissez
la situation, allez donc; je recopierai cette lettre pour que Corysandre
ne sache pas qu'elle est de vous et, apres l'avoir fait copier par ma
fille, je l'enverrai. Cherchez ce qu'il faut pour ecrire et mettez-vous
au travail.
Mais trouver ce qu'il fallait pour ecrire n'etait pas chose commode chez
madame de Barizel, qui n'ecrivait jamais ni lettres, ni comptes, ni
rien, un peu par paresse, beaucoup par prudence pour qu'on ne vit pas
son ecriture et surtout son orthographe. C'etait meme cette grave
question de l'orthographe qui faisait qu'elle demandait a Leplaquet de
lui ecrire cette lettre, car si Corysandre en savait plus qu'elle, elle
n'en savait pas beaucoup cependant, et il ne fallait pas que le duc
s'apercut que celle qu'il aimait ne savait rien.
Toutes les recherches de Leplaquet furent vaines, il fallut faire
apporter de la cuisine un registre crasseux et un encrier boueux pour
qu'il put ecrire son brouillon.
--Vous comprenez la situation? dit madame de Barizel.
--C'est que c'est vraiment delicat, dit-il avec embarras.
--Pas pour vous, mon ami.
--Cela le decida; il se mit a ecrire assez rapidement, sans s'arreter;
les feuillets s'ajouterent aux feuillets.
--Il ne faudrait pas que cela fut trop long, dit madame de Barizel.
--Je sais bien, mais c'est que c'est le diable de faire court: il faut
des preparations, des transitions.
--Chez une jeune fille? Enfin, allez.
Il alla encore et il arriva enfin au bout de son sixieme feuillet.
--Je crois que c'est assez, dit-il, voulez-vous voir?
--Si vous voulez lire vous-meme, je suivrai mieux.
Il commenca sa lecture, que madame de Barizel ecouta sans interrompre,
sans un mot d'approbation ou de critique. Ce fut seulement quand il se
tut qu'elle prit la parole.
--C'est admirable, dit-elle, plein de belles phrases bien arrangees et
de beaux sentiments merveilleusement exprimes, seulement ce n'est pas
tout a fait ainsi qu'ecrit une jeune fille.
--Ah! dit Leplaquet d'un air pince.
--Ne soyez pas blesse de mon observation, mon ami, toutes les fois que
j'ai lu des lettres de femmes dans des romans ecrits par des hommes,
je les ai trouvees fausses et maladroites; les hommes ne savent pas
attraper le tour des femmes ni leur maniere de dire, qui, toute vague
qu'elle paraisse, est cependant si precise. C'est la
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