a des sacrifices auxquels on se resigne
difficilement. Ce plan, vous l'avez devine: il consistait a venir vous
poser les questions que je vous ai posees et qui se resumaient dans une
seule: "L'aimez-vous?" En ne me repondant pas vous m'avez repondu mieux
que vous ne l'auriez fait par la reponse la plus precise.
Il se tut et parut reflechir douloureusement comme s'il balancait dans
son coeur trouble une resolution terrible a prendre.
--Il est evident, mon cher Roger, dit-il enfin, qu'un de nous deux est
de trop a Bade...
--C'est-a-dire?
--C'est-a-dire que je vous cede la place; dans quelques jours j'aurai
quitte Bade; plus tard, quand vous penserez a moi, vous verrez si j'ai
ete votre ami, et alors, je l'espere, votre souvenir s'attendrira.
Lui-meme eut un acces d'emotion qui lui coupa la parole.
--Si je vous ai dit avec une entiere franchise ce qui se rapportait
a nous et a Corysandre, je dois vous dire maintenant, pour que notre
explication soit complete, que j'ai eu il y a quelques instants un
entretien avec madame de Barizel, qui, je dois en convenir, paraissait
me traiter avec une certaine bienveillance et peut-etre meme avec une
preference marquee: n'en soyez pas jaloux, mon cher Roger, j'ai sur
vous, au moins aux yeux d'une mere, une superiorite marquee: je suis
plus riche que vous. Eh bien, dans cet entretien tout a fait accidentel
et en l'air, j'ai annonce a madame de Barizel que j'avais la volonte
bien arretee de mourir garcon. Vous pouvez donc vous presenter
maintenant quand vous voudrez, mon cher Naurouse, vous ne trouverez
devant vous ni mon titre de prince, ni mes mines de l'Oural. Je n'existe
plus. Je suis r*... au moins pour Corysandre. Ce que je vais devenir,
n'en prenez pas souci. Je vais tacher de m'occuper de quelque chose, de
me passionner pour quelque chose. Je vais fonder une chaire au Museum,
construire un observatoire, subventionner une exploration du Centre de
l'Afrique, fonder un orphelinat pour les jeunes filles; enfin, je vais
chercher quelque chose qui prenne mon temps, car vous pensez bien que
mourir garcon, c'est tout simplement une blague, une blague heroique qui
meriterait de faire le sujet d'une tragedie; s'il y avait encore des
poetes; malheureusement il n'y en a plus; je viens trop tard. C'est pour
vous dire cela que je vous ai demande a diner. Maintenant, si vous le
voulez bien, sonnez le garcon, qu'il nous apporte du champagne et du
cognac, j'ai tres soif pour avoir si
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