. Asseyez-vous donc,
voulez-vous?--Tu lui montres un siege pres de toi, mais pas trop pres
cependant; l'essentiel, c'est que le duc soit bien en face de toi, sous
tes yeux, ainsi.
Disant cela, elle prit une chaise et, l'ayant placee a deux pas de
Corysandre, elle s'assit comme si elle etait le duc de Naurouse, et
reprit:
--Avant d'adresser ta priere au duc, tu le regardes de nouveau, toujours
longuement, avec des yeux de plus en plus tendres et un doux sourire
dans lequel il y a de l'embarras et de l'inquietude; tu prolonges cette
pause aussi longtemps que tu veux, des yeux comme les tiens en disent
plus que des paroles. Cependant, comme vous ne pouvez pas rester ainsi,
tu te decides enfin et tu lui dis: "C'est du steeple-chase dans lequel
vous devez monter un cheval que je veux vous parler; je vous en prie, ne
montez pas ce cheval, ne prenez pas part a cette course." Tu taches
de mettre beaucoup de tendresse dans cette priere et aussi beaucoup
d'angoisse. Cependant il ne faut pas que tu en mettes trop, car le duc
doit te demander pourquoi tu ne veux pas qu'il prenne part a cette
course. Voyons, si le duc court tu auras peur, n'est ce pas!
--Une peur mortelle.
--Tu vois bien que je te demande de n'exprimer que des sentiments qui
sont en toi: c'est cette peur que ton accent et tes regards doivent
trahir. Cependant, a la demande du duc, tu ne reponds pas tout de suite:
tu hesites, tu te troubles, tu rougis, tu veux parler et tu ne le peux
pas, arretee par ta confusion. Ne serait-ce pas ainsi que les choses se
passeraient dans la realite?
--Non: je n'hesiterais pas; je ne me troublerais pas, je lui dirais tout
de suite et tout simplement que j'ai peur pour lui.
--Cela serait trop simple et trop bete; l'art vaut mieux que la nature.
Tu es donc confuse, et ce n'est qu'apres l'avoir fait attendre, apres
qu'il s'est rapproche de toi, comme cela,--elle approcha sa chaise en se
penchant en avant,--ce n'est qu'alors que tu lui dis: "J'ai peur pour
vous." En meme temps, tu lui tends la main par un geste d'entrainement,
et, s'il ne la saisit point passionnement, s'il ne tombe point a tes
genoux, s'il ne te prend pas, dans ses bras, c'est que tu n'es qu'une
sotte. Mais tu n'en seras pas une, n'est-ce pas? tu comprendras.
--Je comprends, s'ecria, Corysandre en se cachant le visage dans ses
deux mains, que cela est odieux, et miserable. Pourquoi veux-tu me faire
jouer une comedie indigne de lui et indigne de moi?
--P
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