dure plus longtemps; je ne veux pas
que tu sois malheureuse, je ne l'ai jamais voulu. Sois convaincue que tu
n'as pas de meilleure amie que ta mere; que je n'ai jamais voulu que
ton bonheur; que je ne veux que lui et que je suis prete a tout pour
l'assurer. Ecoute-moi et tu vas le voir; mais d'abord reponds-moi en
toute sincerite, sans rien me cacher, franchement: que penses-tu du
prince Savine?
--Je te l'ai dit vingt fois, cent fois, et je te l'aurais dit bien plus
encore si tu avais voulu m'ecouter.
--Le temps n'a pas modifie ton impression premiere?
--Oh! si. Je le vois aujourd'hui plus insupportable qu'il ne m'etait
apparu avant de le connaitre; suffisant, vaniteux, arrogant, envieux,
egoiste jusqu'a la ferocite, miserablement avare, sans coeur, sans
honneur, sans courage, sans esprit, fourbe, menteur, hableur, je lui
cherche vainement une qualite, car il n'est meme pas beau avec son grand
corps mal degrossi et ses graces d'ours blanc.
C'etait la premiere fois que sa mere la voyait parler avec cette
passion, elle toujours si calme, si indifferente; elle s'etait dressee
sur son fauteuil et, le corps penche en avant, la tete haute, elle
semblait de son bras droit, qu'elle levait et abaissait a chaque mot,
assener ces epithetes qui lui montaient aux levres sur Savine place
devant elle.
--Alors, continua madame de Barizel apres quelques instants, tu voudrais
ne pas devenir sa femme?
Corysandre ne repondit pas.
--Reponds-moi donc, dit madame de Barizel en insistant.
--A quoi bon? Je t'ai deja repondu a ce sujet. Tu m'as dit que j'etais
folle; que ce mariage etait necessaire; qu'il fallait qu'il se fit;
qu'il etait le plus beau que je puisse souhaiter; que le refuser c'etait
faire ton malheur et le mien; que nous n'avions que ce seul moyen de
sortir de la situation ou nous nous trouvons; enfin, par la priere, par
le commandement, par la persuasion, de toutes les manieres, tu me l'as
impose. Pourquoi viens-tu me demander aujourd'hui si je veux devenir sa
femme?
--Pour connaitre ton sentiment.
--Il n'a pas plus change sur le mariage que sur le mari, l'un me deplait
autant que l'autre: tu voulais savoir, tu sais.
--Et je ferai mon profit de ce que tu dis; tu le verras tout a l'heure:
Maintenant, autre question a laquelle tu dois repondre avec la meme
franchise: que penses-tu du duc de Naurouse? Tes idees a son egard n'ont
pas change?
--Il me plait autant que le prince Savine me deplait; tous les
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