tendrissement irresistible que lui causa son
premier aspect, il se crut certain, des qu'il la vit se troubler et
tomber suffoquee sur une chaise, de pouvoir tout oser. Sa langue se delia
donc bien vite. Il s'accusa de tout le passe, s'humilia hypocritement,
pleura tant qu'il voulut, raconta ses remords et ses tourments, en les
peignant plus poetiques que de degoutantes distractions ne lui avaient
permis de les ressentir; enfin, il implora son pardon avec toute
l'eloquence d'un Venitien et d'un comedien consomme.
D'abord emue au son de sa voix, et plus effrayee de sa propre faiblesse
que de la puissance de la seduction, Consuelo, qui depuis quatre mois
avait fait, elle aussi, des reflexions, retrouva beaucoup de lucidite pour
reconnaitre, dans ces protestations et dans cette eloquence passionnee,
tout ce qu'elle avait entendu maintes fois a Venise dans les derniers
temps de leur malheureuse union. Elle fut blessee de voir qu'il avait
repete les memes serments et les memes prieres, comme s'il ne se fut rien
passe depuis ces querelles ou elle etait si loin encore de pressentir
l'odieuse conduite d'Anzoleto. Indignee de tant d'audace, et de si beaux
discours la ou il n'eut fallu que le silence de la honte et les larmes du
repentir, elle coupa court a la declamation en se levant et en repondant
avec froideur:
"C'est assez, Anzoleto; je vous ai pardonne depuis longtemps, et je ne
vous en veux plus. L'indignation a fait place a la pitie, et l'oubli de
vos torts est venu avec l'oubli de mes souffrances. Nous n'avons plus
rien a nous dire. Je vous remercie du bon mouvement qui vous a fait
interrompre votre voyage pour vous reconcilier avec moi. Votre pardon
vous etait accorde d'avance, vous le voyez. Adieu donc, et reprenez votre
chemin.
--Moi, partir! te quitter, te perdre encore! s'ecria Anzoleto
veritablement effraye. Non, j'aime mieux que tu m'ordonnes tout de suite
de me tuer. Non, jamais je ne me resoudrai a vivre sans toi. Je ne le peux
pas, Consuelo. Je l'ai essaye, et je sais que c'est inutile. La ou tu n'es
pas, il n'y a rien pour moi. Ma detestable ambition, ma miserable vanite,
auxquelles j'ai voulu en vain sacrifier mon amour, font mon supplice,
et ne me donnent pas un instant de plaisir. Ton image me suit partout;
le souvenir de notre bonheur si pur, si chaste, si delicieux (et ou
pourrais-tu en retrouver un semblable toi meme?) est toujours devant mes
yeux; toutes les chimeres dont je veux m'entourer me cause
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