Il s'amusait donc a faire repeter a son guide que la Porporina regnait en
souveraine a Riesenburg, et il se complaisait dans l'esperance puerile de
faire dire par ce meme homme a tous les voyageurs qui passeraient apres
lui, qu'un beau garcon etranger etait entre au galop dans le manoir
inhospitalier des Geants, qu'il n'avait fait que VENIR, VOIR et VAINCRE,
et que, peu d'heures ou peu de jours apres, il en etait ressorti, enlevant
la perle des cantatrices a tres-haut, tres-puissant seigneur le comte de
Rudolstadt.
A cette idee, il enfoncait l'eperon dans le ventre de son cheval, et riait
de maniere a faire croire a son guide que le plus fou des deux n'etait pas
le comte Albert.
La chanoinesse le recut avec mefiance, mais n'osa point l'econduire, dans
l'espoir qu'il allait peut-etre emmener sa pretendue soeur. Il apprit
d'elle que Consuelo etait a la promenade, et eut de l'humeur. On lui fit
servir a dejeuner, et il interrogea les domestiques. Un seul comprenait
quelque peu l'italien, et n'entendit pas malice a dire qu'il avait vu la
signora sur la montagne avec le jeune comte. Anzoleto craignit de trouver
Consuelo hautaine et froide dans les premiers instants. Il se dit que si
elle n'etait encore que l'honnete fiancee du fils de la maison, elle
aurait l'attitude superbe d'une personne fiere de sa position; mais que
si elle etait deja sa maitresse, elle devait etre moins sure de son fait,
et trembler devant un ancien ami qui pouvait venir gater ses affaires.
Innocente, sa conquete etait difficile, partant plus glorieuse; corrompue,
c'etait le contraire; et dans l'un ou l'autre cas, il y avait lieu
d'entreprendre ou d'esperer.
Anzoleto etait trop fin pour ne pas s'apercevoir de l'humeur et de
l'inquietude que cette longue promenade de la Porporina avec son neveu
inspirait a la chanoinesse. Comme il ne vit pas le comte Christian, il
put croire que le guide avait ete mal informe; que la famille voyait avec
crainte et deplaisir l'amour du jeune comte pour l'aventuriere, et que
celle-ci baisserait la tete devant son premier amant.
Apres quatre mortelles heures d'attente, Anzoleto, qui avait eu le temps
de faire bien des reflexions, et dont les moeurs n'etaient pas assez
pures pour augurer le bien en pareille circonstance, regarda comme certain
qu'un aussi long tete-a-tete entre Consuelo et son rival attestait une
intimite sans reserve. Il en fut plus hardi, plus determine a l'attendre
sans se rebuter; et apres l'at
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