uelle Anzoleto pouvait venir. Mais elle ne
connaissait encore qu'a demi cet homme froid et personnel, et, ayant vu des
preuves de son courage physique, elle ne savait pas qu'il etait tout a fait
depourvu du courage moral qui fait affronter la mort pour satisfaire la
passion. Elle pensait qu'il oserait venir jusque la, qu'il insisterait pour
etre ecoute, qu'il ferait quelque bruit; et elle savait qu'il ne fallait
qu'un souffle pour attirer Albert. Il y avait aupres de sa chambre un
cabinet avec un escalier derobe, comme dans presque tous les appartements
du chateau; mais cet escalier donnait a l'etage inferieur, tout aupres de
la chanoinesse. C'etait le seul refuge qu'elle put chercher contre l'audace
imprudente d'Anzoleto; et, pour se faire ouvrir, il fallait tout confesser,
meme d'avance, afin de ne pas donner lieu a un scandale, que la bonne
Wenceslawa, dans sa frayeur, pourrait bien prolonger. Il y avait encore le
jardin; mais si Anzoleto, qui paraissait avoir explore tout le chateau avec
soin, s'y rendait de son cote, c'etait courir a sa perte.
En revant ainsi, elle vit de la fenetre de son cabinet, qui donnait sur une
cour de derriere, de la lumiere aupres des ecuries. Elle examina un homme
qui rentrait et sortait de ces ecuries sans eveiller les autres serviteurs,
et qui paraissait faire des apprets de depart. Elle reconnut a son costume
le guide d'Anzoleto, qui arrangeait ses chevaux conformement a ses
instructions. Elle vit aussi de la lumiere chez le gardien du pont-levis,
et pensa avec raison qu'il avait ete averti par le guide d'un depart dont
l'heure n'etait pas encore fixee. En observant ces details, et en se
livrant a mille conjectures, a mille projets, Consuelo concut un dessein
assez etrange et fort temeraire. Mais comme il lui offrait un terme moyen
entre les deux extremes qu'elle redoutait, et lui ouvrait en meme temps
une nouvelle perspective sur les evenements de sa vie, il lui parut une
veritable inspiration du ciel. Elle n'avait pas de temps a employer pour en
examiner les moyens et les suites. Les uns lui parurent se presenter par
l'effet d'un hasard providentiel; les autres lui semblerent pouvoir etre
detournes. Elle se mit a ecrire ce qui suit, fort a la hate, comme on peut
croire, car l'horloge, du chateau venait de sonner onze heures:
"Albert, je suis forcee de partir. Je vous cheris de toute mon ame, vous le
savez. Mais il y a dans mon. etre des contradictions, des souffrances, et
des revolt
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