s'entourer de gardiens? D'ailleurs
ma mere etait forte comme un homme; elle se serait defendue comme un lion.
Ne puis-je pas etre courageuse et forte, moi qui n'ai dans les veines que
du bon sang plebeien? Est-ce qu'on ne peut pas toujours se tuer quand on
est menacee de perdre plus que la vie? Et puis, je suis encore dans un pays
tranquille, dont les habitants sont doux et charitables; et quand je serai
sur des terres inconnues, j'aurai bien du malheur si je ne rencontre pas, a
l'heure du danger, quelqu'un de ces etres droit et genereux, comme Dieu en
place partout pour servir de providence aux faibles et aux opprimes.
Allons! Du courage. Pour aujourd'hui je n'ai a lutter que contre la faim.
Je ne veux entrer dans une cabane, pour acheter du pain, qu'a la fin de
cette journee, quand il fera sombre et que je serai bien loin, bien loin.
Je connais la faim, et je sais y resister, malgre les eternels festins
auxquels on voulait m'habituer a Riesenburg. Une journee est bientot
passee. Quand la chaleur sera venue, et mes jambes epuisees, je me
rappellerai l'axiome philosophique que j'ai si souvent entendu dans mon
enfance: "Qui dort dine." Je me cacherai dans quelque trou de rocher, et
je te ferai bien voir, o ma pauvre mere qui veilles sur moi et voyages
invisible a mes cotes, a cette heure, que je sais encore faire la sieste
sans sofa et sans coussins!"
Tout en devisant ainsi avec elle-meme, la pauvre enfant oubliait un peu ses
peines de coeur. Le sentiment d'une grande victoire remportee sur elle-meme
lui faisait deja paraitre Anzoleto moins redoutable. Il lui semblait meme
qu'a partir du moment ou elle avait dejoue ses seductions, elle sentait son
ame allegee de ce funeste attachement; et, dans les travaux de son projet
romanesque, elle trouvait une sorte de gaiete melancolique, qui lui faisait
repeter tout bas a chaque instant: "Mon corps souffre, mais il sauve mon
ame. L'oiseau qui ne peut se defendre a des ailes pour se sauver, et, quand
il est dans les plaines de l'air, il se rit des pieges et des embuches."
Le souvenir d'Albert, l'idee de son effroi et de sa douleur, se
presentaient differemment a l'esprit de Consuelo; mais elle combattait de
toute sa force l'attendrissement qui la gagnait a cette pensee. Elle avait
forme la resolution de repousser son image, tant qu'elle ne se serait pas
mise a l'abri d'un repentir trop prompt et d'une tendresse imprudente.
"Cher Albert, ami sublime, disait-elle, je ne puis m'e
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