t borgne, et l'autre,
quoiqu'il eut ses deux yeux, n'avait pas une figure plus agreable. Celui
qui avait passe l'eau avec M. Mayer, et que nos jeunes voyageurs avaient
retrouve dans la voiture, vint les rejoindre: le quatrieme ne parut pas.
Ils parlerent tous ensemble un langage inintelligible pour Consuelo
elle-meme qui entendait tant de langues. M. Mayer paraissait exercer sur
eux une sorte d'autorite et influencer tout au moins leurs decisions; car,
apres un entretien assez anime a voix basse, sur les dernieres paroles
qu'il leur dit, ils se retirerent, a l'exception de celui que Consuelo, en
le designant a Joseph, appelait _le silencieux_: c'etait celui qui n'avait
point quitte M. Mayer.
Haydn s'appretait a faire servir le souper frugal de sa compagne et le
sien, sur un bout de la table de cuisine, lorsque M. Mayer, revenant vers
eux, les invita a partager son repas, et insista avec tant de bonhomie
qu'ils n'oserent le refuser. Il les emmena dans la salle a manger, ou ils
trouverent un veritable festin, du moins c'en etait un pour deux pauvres
enfants prives de toutes les douceurs de ce genre depuis cinq jours d'une
marche assez penible. Cependant Consuelo n'y prit part qu'avec retenue;
la bonne chere que faisait M. Mayer, l'empressement avec lequel les
domestiques paraissaient le servir, et la quantite de vin qu'il absorbait,
ainsi que son muet compagnon, la forcaient a rabattre un peu de la haute
opinion qu'elle avait prise des vertus presbyteriennes de l'amphitryon.
Elle etait choquee surtout du desir qu'il montrait de faire boire Joseph
et elle-meme au dela de leur soif, et de l'enjouement tres-vulgaire avec
lequel il les empechait de mettre de l'eau dans leur vin. Elle voyait avec
plus d'inquietude encore que, soit distraction, soit besoin reel de
reparer ses forces, Joseph se laissait aller, et commencait a devenir
plus communicatif et plus anime qu'elle ne l'eut souhaite. Enfin elle prit
un peu d'humeur lorsqu'elle trouva son compagnon insensible aux coups de
coude qu'elle lui donnait pour arreter ses frequentes libations; et lui
retirant son verre au moment ou M. Mayer allait le remplir de nouveau:
"Non, Monsieur, lui dit-elle, non; permettez-nous de ne pas vous imiter;
cela ne nous convient pas.
--Vous etes de droles de musiciens! s'ecria Mayer en riant, avec son air
de franchise et d'insouciance; des musiciens qui ne boivent pas! Vous etes
les premiers de ce caractere que je rencontre!
--Et vous, Mo
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