de nouvelles entreprises de la part des recruteurs repandus dans le pays.
"Vous ne savez pas, leur dit Trenk (et il n'exagerait rien), combien cette
race est habile et redoutable. En quelque lieu de l'Europe civilisee que
vous mettiez le pied, si vous etes pauvre et sans defense, si vous avez
quelque vigueur ou quelque talent, vous etes expose a la fourberie ou a la
violence de ces gens-la. Ils connaissent tous les passages de frontieres,
tous les sentiers de montagnes, toutes les routes de traverse, tous les
gites equivoques, tous les coquins dont ils peuvent esperer assistance et
main-forte au besoin. Ils parlent toutes les langues, tous les patois, car
ils ont vu toutes les nations et fait tous les metiers. Ils excellent a
manier un cheval, a courir, nager, sauter par-dessus les precipices
comme de vrais bandits. Ils sont presque tous braves, durs a la fatigue,
menteurs, adroits et impudents, vindicatifs, souples et cruels. C'est le
rebut de l'espece humaine, dont l'organisation militaire du feu roi de
Prusse, _Gros-Guillaume_, a fait les pourvoyeurs les plus utiles de sa
puissance, et les soutiens les plus importants de sa discipline. Ils
rattraperaient un deserteur au fond de la Siberie, et iraient le chercher
au milieu des balles de l'armee ennemie, pour le seul plaisir de le ramener
en Prusse et de l'y faire pendre pour l'exemple. Ils ont arrache de l'autel
un pretre qui disait sa messe, parce qu'il avait cinq pieds dix pouces; ils
ont vole un medecin a la princesse electorale; ils ont mis en fureur dix
fois le vieux margrave de Bareith, en lui enlevant son armee composee de
vingt ou trente hommes, sans qu'il ait ose en demander raison ouvertement;
ils ont fait soldat a perpetuite un gentilhomme francais qui allait voir sa
femme et ses enfants aux environs de Strasbourg; ils ont pris des Russes a
la czarine Elisabeth, des houlans au marechal de Saxe, des pandours a
Marie-Therese, des magnats de Hongrie, des seigneurs polonais, des
chanteurs italiens, et des femmes de toutes les nations, nouvelles
Sabines mariees de force a des soldats. Tout leur est bon; outre leurs
appointements et leurs frais de voyages qui sont largement retribues, ils
ont une prime de tant par tete, que dis-je! de tant par pouce et par ligne
de stature....
--Oui! dit Consuelo, ils fournissent de la chair humaine a tant par once!
Ah! votre grand roi est un ogre!... Mais soyez tranquille, monsieur le
baron, dites toujours; vous avez fait une
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