e et l'ennemi
sur ses talons, nulle part des semblables, des compagnons, ou des freres
d'armes. Partout la violence, la mort et l'epouvante! C'est avec cela, dit
le grand Frederic, qu'on forme des soldats invincibles. Eh bien, une place
dans ces premiers rangs est enviee et recherchee par le jeune militaire
prussien; et sitot qu'il y est place, sans concevoir la moindre esperance
de salut, il se debande et jette ses armes, afin d'attirer sur lui les
balles de ses camarades. Ce mouvement de desespoir en sauve plusieurs, qui,
risquant le tout pour le tout, et bravant les plus insurmontables dangers,
parviennent a s'echapper, et souvent passent a l'ennemi. Le roi ne s'abuse
pas sur l'horreur que son joug de fer inspire a l'armee, et vous savez
peut-etre son mot au duc de Brunswick, son neveu, qui assistait a une de
ses grandes revues, et ne se lassait pas d'admirer la belle tenue et les
superbes manoeuvres de ses troupes. "--La reunion et l'ensemble de tant de
beaux hommes vous surprend? lui dit Frederic; et moi, il y a quelque chose
qui m'etonne bien davantage!--Quoi donc? dit le jeune duc.--C'est que nous
soyons en surete, vous et moi, au milieu d'eux, repondit le roi."
"Baron, cher baron, reprit le comte Hoditz, ceci est le revers de la
medaille. Rien ne se fait miraculeusement chez les hommes. Comment Frederic
serait-il le plus grand capitaine de son temps s'il avait la douceur des
colombes? Tenez! n'en parlez pas davantage. Vous m'obligeriez a prendre son
parti, moi son ennemi naturel, contre vous, son aide de camp et son favori.
--A la maniere dont il traite ses favoris dans un jour de caprice, on peut
juger, repondit Trenk, de sa facon d'agir avec ses esclaves! Ne parlons
plus de lui, vous avez raison; car, en y songeant, il me prend une envie
diabolique de retourner dans le bois, et d'etrangler de mes mains ses zeles
pourvoyeurs de chair humaine, a qui j'ai fait grace par une sotte et lache
prudence."
L'emportement genereux du baron plaisait a Consuelo; elle ecoutait avec
interet ses peintures animees de la vie militaire en Prusse; et, ne sachant
pas qu'il entrait dans cette courageuse indignation un peu de depit
personnel, elle y voyait l'indice d'un grand caractere. Il y avait de la
grandeur reelle neanmoins dans l'ame de Trenk. Ce beau et fier jeune homme
n'etait pas ne pour ramper. Il y avait bien de la difference, a cet egard,
entre lui et son ami improvise en voyage, le riche et superbe Hoditz. Ce
dernie
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