r, ayant fait dans son enfance la terreur et le desespoir de ses
precepteurs, avait ete enfin abandonne a lui-meme; et quoiqu'il eut passe
l'age des bruyantes incartades, il conservait dans ses manieres et dans ses
propos quelque chose de pueril qui contrastait avec sa stature herculeenne
et son beau visage un peu fletri par quarante annees pleines de fatigues et
de debauches. Il n'avait puise l'instruction superficielle qu'il etalait
de temps en temps, que dans les romans, la philosophie a la mode, et la
frequentation du theatre. Il se piquait d'etre artiste, et manquait de
discernement et de profondeur en cela comme en tout. Pourtant son grand
air, son affabilite exquise, ses idees fines et riantes, agirent bientot
sur l'imagination du jeune Haydn, qui le prefera au baron, peut-etre aussi
a cause de l'attention plus prononcee que Consuelo accordait a ce dernier.
Le baron, au contraire, avait fait de bonnes etudes; et si le prestige des
cours et l'effervescence de la jeunesse l'avaient souvent etourdi sur la
realite et la valeur des grandeurs humaines, il avait conserve au fond de
l'ame cette independance de sentiments et cette equite de principes que
donnent les lectures serieuses et les nobles instincts developpes par
l'education. Son caractere altier avait pu s'engourdir sous les caresses et
les flatteries de la puissance; mais il n'avait pu plier assez pour qu'a la
moindre atteinte de l'injustice, il ne se relevat fougueux et brulant. Le
beau page de Frederic avait trempe ses levres a la coupe empoisonnee; mais
l'amour, un amour absolu, temeraire, exalte, etait venu ranimer son audace
et sa perseverance. Frappe dans l'endroit le plus sensible de son coeur, il
avait releve la tete, et bravait en face le tyran qui voulait le mettre a
genoux.
A l'epoque de notre recit, il paraissait age d'une vingtaine d'annees
tout au plus. Une foret de cheveux bruns, dont il ne voulait pas faire le
sacrifice a la discipline puerile de Frederic, ombrageait son large front.
Sa taille etait superbe, ses yeux etincelants, sa moustache noire comme
l'ebene, sa main blanche comme l'albatre, quoique forte comme celle d'un
athlete, et sa voix fraiche et male comme son visage, ses idees, et les
esperances de son amour. Consuelo songeait a cet amour mysterieux qu'il
avait a chaque instant sur les levres, et qu'elle ne trouvait plus ridicule
a mesure qu'elle observait, dans ses elans et ses reticences, le melange
d'impetuosite naturelle et de
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