et Consuelo
elle-meme, ne se ressentant presque plus de l'agitation et des souffrances
de la matinee, commencait a chanter, lorsqu'on vint leur dire que le comte
et le baron reclamaient la musique pour leur propre divertissement.
Il n'y avait pas moyen de refuser. Apres le secours que ces deux seigneurs
leur avaient donne, Consuelo eut regarde toute defaite comme une
ingratitude; et d'ailleurs s'excuser sur la fatigue et l'enrouement eut ete
un mechant pretexte, puisque ses accents, montant de l'office au salon,
venaient de frapper les oreilles des maitres.
Elle suivit Joseph, qui etait, aussi bien qu'elle, en train de prendre en
bonne part toutes les consequences de leur pelerinage; et quand ils furent
entres dans une belle salle, ou, a la lueur de vingt bougies, les deux
seigneurs achevaient, les coudes sur la table, leur dernier flacon de
vin de Hongrie, ils se tinrent debout pres de la porte, a la maniere des
musiciens de bas etage, et se mirent a chanter les petits duos italiens
qu'ils avaient etudies ensemble sur les montagnes.
"Attention! dit malicieusement Consuelo a Joseph avant de commencer; songe
que M. le comte va nous examiner sur la musique. Tachons de nous en bien
tirer!"
Le comte fut tres flatte de cette reflexion; le baron avait place sur son
assiette retournee le portrait de sa dulcinee mysterieuse, et ne semblait
pas dispose a ecouter.
Consuelo n'eut garde de donner sa voix et ses moyens. Son pretendu sexe ne
comportait pas des accents si veloutes, et l'age qu'elle paraissait avoir
sous son deguisement ne permettait pas de croire qu'elle eut pu parvenir a
un talent consomme. Elle se fit une voix d'enfant un peu rauque, et comme
usee prematurement par l'abus du metier en plein vent. Ce fut pour elle
un amusement que de contrefaire aussi les maladresses naives et les
temerites d'ornement ecourte qu'elle avait entendu faire tant de fois aux
enfants des rues de Venise. Mais quoiqu'elle jouat merveilleusement cette
parodie musicale, il y eut tant de gout naturel dans ses faceties, le duo
fut chante avec tant de nerf et d'ensemble, et ce chant populaire etait si
frais et si original, que le baron, excellent musicien, et admirablement
organise pour les arts, remit son portrait dans son sein, releva la tete,
s'agita sur son siege, et finit par battre des mains avec vivacite,
s'ecriant que c'etait la musique la plus vraie et la mieux sentie qu'il eut
jamais entendue. Quant au comte Hoditz, qui etait p
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