sur l'herbe, et a deboucher les
bouteilles. Joseph l'imita en affectant beaucoup de gaiete; M. Mayer vit
avec plaisir ces serviteurs volontaires se devouer a son bien-etre. Il
aimait ses aises, et se mit a boire et a manger ainsi que ses compagnons
avec des manieres plus gloutonnes et plus grossieres qu'il n'en avait
montre la veille. Il tendait a chaque instant son verre a ses deux nouveaux
pages, qui, a chaque instant, se levaient, se rasseyaient, et repartaient
pour courir, de cote et d'autre, epiant le moment de courir une fois
pour toutes, mais attendant que le vin et la digestion rendissent moins
clairvoyants ces gardiens dangereux. Enfin, M. Mayer, se laissant aller sur
l'herbe et deboutonnant sa veste, offrit au soleil sa grosse poitrine ornee
de pistolets; le conducteur alla voir si le cheval mangeait bien, et le
silencieux se mit a chercher dans quel endroit du ruisseau vaseux au bord
duquel on s'etait arrete, cet animal pourrait boire. Ce fut le signal de la
delivrance. Consuelo feignit de chercher aussi. Joseph s'engagea avec elle
dans les buissons; et, des qu'ils se virent caches dans l'epaisseur du
feuillage, ils prirent leur course comme deux lievres a travers bois. Ils
n'avaient plus guere a craindre les balles dans ce taillis epais; et quand
ils s'entendirent rappeler, ils jugerent qu'ils avaient pris assez d'avance
pour continuer sans danger.
"II vaut pourtant mieux repondre, dit Consuelo en s'arretant; cela
detournera les soupcons, et nous donnera le temps d'un nouveau trait de
course."
Joseph, repondit donc:
"Par ici, par ici! il y a de l'eau!
--Une source, une source!" cria Consuelo.
Et courant aussitot a angle droit, afin de derouter l'ennemi, ils
repartirent legerement. Consuelo ne pensait plus a ses pieds malades et
enfles, Joseph avait triomphe du narcotique que M. Mayer lui avait verse
la veille. La peur leur donnait des ailes.
Ils couraient ainsi depuis dix minutes, dans la direction opposee a celle
qu'ils avaient prise d'abord, et ne se donnant pas le temps d'ecouter
les voix qui les appelaient de deux cotes differents, lorsqu'ils trouverent
la lisiere du bois, et devant eux un coteau rapide bien gazonne qui
s'abaissait jusqu'a une route battue, et des bruyeres semees de massifs
d'arbres.
"Ne sortons pas du bois, dit Joseph. Ils vont venir ici, et de cet endroit
eleve ils nous verront dans quelque sens que nous marchions.
Consuelo hesita un instant, explora le pays d'un coup
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