peine
entendais-je les sons de l'orgue, que je quittais tout pour rentrer dans
l'eglise, et me delecter a ecouter les chants et l'harmonie. Je m'oubliais
le soir dans la rue, sous les fenetres d'ou partaient les bruits
entrecoupes d'un concert, ou seulement les sons d'une voix agreable;
j'etais curieux, j'etais avide de connaitre et de comprendre tout ce qui
frappait mon oreille. Je voulais surtout composer. A treize ans, sans
connaitre aucune des regles, j'osai bien ecrire une messe dont je montrai
la partition a notre maitre Reuter. Il se moqua de moi, et me conseilla
d'apprendre avant de creer. Cela lui etait bien facile a dire. Je n'avais
pas le moyen de payer un maitre, et mes parents etaient trop pauvres pour
m'envoyer l'argent necessaire a la fois a mon entretien et a mon education.
Enfin, je recus d'eux un jour six florins, avec lesquels j'achetai le livre
que vous voyez, et celui de Mattheson; je me mis a les etudier avec ardeur,
et j'y pris un plaisir extreme. Ma voix progressait et passait pour la plus
belle du choeur. Au milieu des doutes et des incertitudes de l'ignorance
que je m'efforcais de dissiper, je sentais bien mon cerveau se developper,
et des idees eclore en moi; mais j'approchais avec effroi de l'age ou il
faudrait, conformement aux reglements de la chapelle, sortir de la
maitrise, et me voyant sans ressources, sans protection, et sans maitres,
je me demandais si ces huit annees de travail a la cathedrale n'allaient
pas etre mes dernieres etudes, et s'il ne faudrait pas retourner chez mes
parents pour y apprendre l'etat de charron. Pour comble de chagrin,
je voyais bien que maitre Reuter, au lieu de s'interesser a moi, ne me
traitait plus qu'avec durete, et ne songeait qu'a hater le moment fatal de
mon renvoi. J'ignore les causes de cette antipathie, que je n'ai meritee en
rien. Quelques-uns de mes camarades avaient la legerete de me dire qu'il
etait jaloux de moi, parce qu'il trouvait dans mes essais de composition
une sorte de revelation du genie musical, et qu'il avait coutume de hair et
de decourager les jeunes gens chez lesquels il decouvrait un elan superieur
au sien propre. Je suis loin d'accepter cette vaniteuse interpretation
de ma disgrace; mais je crois bien que j'avais commis une faute en lui
montrant mes essais. Il me prit pour un ambitieux sans cervelle et un
presomptueux impertinent.
--Et puis, dit Consuelo en interrompant le narrateur, les vieux precepteurs
n'aiment pas les eleves
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