tais sorti dans l'obscurite du matin, et ne m'etais pas
avise de vous decouvrir, la vis-a-vis de moi, blottie dans cette paille et
sous le nez de ces animaux qui eussent pu vous blesser. Vraiment, signora,
vous etes temeraire, et vous ne songez pas aux perils de toute espece que
vous affrontez.
--Quels perils, mon cher Beppo? dit Consuelo en souriant et en lui tendant
la main. Ces bonnes vaches ne sont pas des animaux bien feroces, et je leur
ai fait plus de peur qu'elles ne pouvaient me faire de mal.
--Mais, signora, reprit Joseph en baissant la voix, vous venez au milieu
de la nuit vous refugier dans le premier endroit qui se presente.
D'autres hommes que moi pouvaient se trouver dans cette etable, quelque
Vagabond moins respectueux que votre fidele et devoue Beppo, quelque serf
grossier!... Si, au lieu de la creche ou vous avez dormi, vous aviez choisi
l'autre, et qu'au lieu de moi vous y eussiez eveille en sursaut quelque
soldat ou quelque rustre!"
Consuelo rougit en songeant qu'elle avait dormi si pres de Joseph et toute
seule avec lui dans les tenebres; mais cette honte ne fit qu'augmenter sa
confiance et son amitie pour le bon jeune homme.
"Joseph, lui dit-elle, vous voyez que, dans mes imprudences, le ciel ne
m'abandonne pas, puisqu'il m'avait conduite aupres de vous. C'est lui qui
m'a fait vous rencontrer hier matin au bord de la fontaine ou vous m'avez
donne votre pain, votre confiance et votre amitie; c'est lui encore qui a
place, cette nuit, mon sommeil insouciant sous votre sauvegarde
fraternelle."
Elle lui raconta en riant la mauvaise nuit qu'elle avait passee dans la
chambre commune avec la bruyante famille de la ferme, et combien elle
s'etait sentie heureuse et tranquille au milieu des vaches.
"II est donc vrai, dit Joseph, que les animaux ont une habitation plus
agreable et des moeurs plus elegantes que l'homme qui les soigne!
--C'est a quoi je songeais tout en m'endormant sur cette creche. Ces betes
ne me causaient ni frayeur ni degout, et je me reprochais d'avoir contracte
des habitudes tellement aristocratiques, que la societe de mes semblables
et le contact de leur indigence me fussent devenus insupportables. D'ou
vient cela, Joseph? Celui qui est ne dans la misere devrait, lorsqu'il y
retombe, ne pas eprouver cette repugnance dedaigneuse a laquelle j'ai cede.
Et quand le coeur ne s'est pas vicie dans l'atmosphere de la richesse,
pourquoi reste-t-on delicat d'habitudes, comme je l'ai et
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