sous un berceau de vigne sauvage, elle le tourmenta de questions si
ingenues pour lui faire avouer la cause de son humeur sombre, qu'il ne put
s'empecher de lui faire une reponse ou entrait un grand depit contre
lui-meme et contre sa propre destinee.
"Eh bien, puisque vous voulez le savoir, dit-il, je songe que je suis bien
malheureux; car j'approche tous les jours un peu plus de Vienne, ou ma
destinee est engagee, bien que mon coeur ne le soit pas. Je n'aime pas ma
fiancee; je sens que je ne l'aimerai jamais, et pourtant j'ai promis, et je
tiendrai parole.
--Serait-il possible? s'ecria Consuelo, frappee de surprise. En ce cas, mon
pauvre Beppo, nos destinees, que je croyais conformes en bien des points,
sont donc entierement opposees; car vous courez vers une fiancee que vous
n'aimez pas, et moi, je fuis un fiance que j'aime. Etrange fortune! qui
donne aux uns ce qu'ils redoutent, pour arracher aux autres ce qu'ils
cherissent."
Elle lui serra affectueusement la main en parlant ainsi, et Joseph vit bien
que cette reponse ne lui etait pas dictee par le soupcon de sa temerite et
le desir de lui donner une lecon. Mais la lecon n'en fut que plus efficace.
Elle le plaignait de son malheur et s'en affligeait avec lui, tout en lui
montrant, par un cri du coeur, sincere et profond, qu'elle en aimait un
autre sans distraction et sans defaillance.
Ce fut la derniere folie de Joseph envers elle. Il prit son violon, et, le
raclant avec force, il oublia cette nuit orageuse. Quand ils se remirent en
route, il avait completement abjure un amour impossible, et les evenements
qui suivirent ne lui firent plus sentir que la force du devouement et de
l'amitie. Lorsque Consuelo voyait passer un nuage sur son front, et qu'elle
tachait de l'ecarter par de douces paroles:
"Ne vous inquietez pas de moi, lui repondait-il. Si je suis condamne a
n'avoir pas d'amour pour ma femme, du moins j'aurai de l'amitie pour elle,
et l'amitie peut consoler de l'amour, je le sens mieux que vous ne croyez!"
LXIX.
Haydn n'eut jamais lieu de regretter ce voyage et les souffrances qu'il
avait combattues; car il y prit les meilleures lecons d'italien, et meme
les meilleures notions de musique qu'il eut encore eues dans sa vie. Durant
les longues haltes qu'ils firent dans les beaux jours, sous les solitaires
ombrages du Boehmer-Wald, nos jeunes artistes se revelerent l'un a l'autre
tout ce qu'ils possedaient d'intelligence et de genie. Quoique
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