le malaise lui fit craindre de ne pouvoir supporter
une suite de journees de marche et de nuits sans repos, dont le debut
s'annoncait si desagreablement. C'est en vain qu'elle se reprocha d'etre
devenue princesse dans les douceurs de la vie de chateau: elle eut donne
le reste de ses jours en cet instant pour une heure de bon sommeil.
Cependant, n'osant rentrer dans la maison de peur d'eveiller et
d'indisposer ses hotes, elle chercha la porte des granges; et, trouvant
l'etable ouverte a demi, elle y penetra a tatons. Un profond silence y
regnait. Jugeant cet endroit desert, elle s'etendit sur une creche remplie
de paille dont la chaleur et l'odeur saine lui parurent delicieuses.
Elle commencait a s'endormir, lorsqu'elle sentit sur son front une haleine
chaude et humide, qui se retira avec un souffle violent et une sorte
d'imprecation etouffee. La premiere frayeur passee, elle apercut, dans le
crepuscule qui commencait a poindre, une longue figure et deux formidables
cornes au-dessus de sa tete: c'etait une belle vache qui avait passe le cou
au ratelier, et qui, apres l'avoir flairee avec etonnement, se retirait
avec epouvante. Consuelo se tapit dans le coin, de maniere a ne pas la
contrarier, et dormit fort tranquillement. Son oreille fut bientot habituee
a tous les bruits de l'etable, au cri des chaines dans leurs anneaux, au
mugissement des genisses et au frottement des cornes contre les barres de
la creche. Elle ne s'eveilla meme pas lorsque les laitieres entrerent pour
faire sortir leurs betes et les traire en plein air. L'etable se trouva
vide; l'endroit sombre ou Consuelo s'etait retiree avait empeche qu'on ne
la decouvrit; et le soleil etait leve lorsqu'elle ouvrit de nouveau les
yeux. Enfoncee dans la paille, elle gouta encore quelques instants le
bien-etre de sa situation, et se rejouit de se sentir rafraichie et
reposee, prete a reprendre sa marche sans effort et sans inquietude.
Lorsqu'elle sauta a bas de la creche pour chercher Joseph, le premier objet
qu'elle rencontra fut Joseph lui-meme, assis vis-a-vis d'elle sur la creche
d'en face.
"Vous m'avez donne bien de l'inquietude, cher signor Bertoni, lui dit-il.
Lorsque les jeunes filles m'ont appris que vous n'etiez plus dans la
chambre, et qu'elles ne savaient ce que vous etiez devenue, je vous ai
cherchee partout, et ce n'est qu'en desespoir de cause que je suis revenu
ici ou j'avais passe la nuit, et ou je vous ai trouvee, a ma grande
surprise. J'en e
|