ez vite, la fit naitre par une petite ruse. Il feignit
d'etre embarrasse de donner a l'_a_ italien la franchise et la nettete
convenables, et il chanta une phrase de Leo ou le mot _felicita_ se
trouvait repete plusieurs fois. Aussitot Consuelo, sans s'arreter, et sans
etre plus essoufflee que si elle eut ete assise a son piano, lui chanta
la phrase a plusieurs reprises. A cet accent si genereux et si penetrant
qu'aucun autre ne pouvait, a cette epoque, lui etre compare dans le monde,
Joseph sentit un frisson passer dans tout son corps, et froissa ses mains
l'une contre l'autre avec un mouvement convulsif et une exclamation
passionnee.
"A votre tour, essayez donc," dit Consuelo sans s'apercevoir de ses
transports.
Haydn essaya la phrase et la dit si bien que son jeune professeur battit
des mains.
"C'est a merveille, lui dit-elle avec un accent de franchise et de bonte.
Vous apprenez vite, et vous avez une voix magnifique.
--Vous pouvez me dire la-dessus tout ce qu'il vous plaira, repondit Joseph;
mais moi je sens que je ne pourrai jamais vous rien dire de vous-meme.
--Et pourquoi donc?" dit Consuelo.
Mais, en se retournant vers lui, elle vit qu'il avait les yeux gros
de larmes, et qu'il serrait encore ses mains, en faisant craquer les
phalanges, comme un enfant folatre et comme un homme enthousiaste.
"Ne chantons plus, lui dit-elle. Voici des cavaliers qui viennent a notre
rencontre.
--Ah! mon Dieu, oui, taisez-vous! s'ecria Joseph tout hors de lui. Qu'ils
ne vous entendent pas! car ils mettraient pied a terre, et vous salueraient
a genoux.
--Je ne crains pas ces melomanes; ce sont des garcons bouchers qui portent
des veaux en croupe.
--Ah! baissez votre chapeau, detournez la tete! dit Joseph en se
rapprochant d'elle avec un sentiment de jalousie exaltee. Qu'ils ne vous
voient pas! qu'ils ne vous entendent pas! que personne autre que moi ne
vous voie et ne vous entende!"
Le reste de la journee s'ecoula dans une alternative d'etudes serieuses et
de causeries enfantines. Au milieu de ses agitations, Joseph eprouvait une
joie enivrante, et ne savait s'il etait le plus tremblant des adorateurs
de la beaute, ou le plus rayonnant des amis de l'art. Tour a tour idole
resplendissante et camarade delicieux, Consuelo remplissait toute sa vie et
transportait tout son etre. Vers le soir il s'apercut qu'elle se trainait
avec peine, et que la fatigue avait vaincu son enjouement. Il est vrai que,
depuis plusieu
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