es que je ne puis expliquer ni a vous ni a moi-meme. Si je vous
voyais en ce moment, je vous dirais que je me fie a vous, que je vous
abandonne le soin de mon avenir, que je consens a etre votre femme. Je vous
dirais peut-etre que je le veux. Et pourtant je vous tromperais, ou je
ferais un serment temeraire; car mon coeur n'est pas assez purifie de
l'ancien amour, pour vous appartenir des a present, sans effroi, et pour
meriter le votre sans remords. Je fuis; je vais a Vienne, rejoindre ou
attendre le Porpora, qui doit y etre ou y arriver dans peu de jours, comme
sa lettre a votre pere vous l'a annonce dernierement. Je vous jure que je
vais chercher aupres de lui l'oubli et la haine du passe, et l'espoir d'un
avenir dont vous etes pour moi la pierre angulaire. Ne me suivez pas; je
vous le defends, au nom de cet avenir que votre impatience compromettrait
et detruirait peut-etre. Attendez-moi, et tenez-moi le serment que vous
m'avez fait de ne pas retourner sans moi a... Vous me comprenez! Comptez
sur moi, je vous l'ordonne; car je m'en vais avec la sainte esperance de
revenir ou de vous appeler bientot. Dans ce moment je fais un reve affreux.
Il me semble que quand je serai seule avec moi-meme, je me reveillerai
digne de vous. Je ne veux point que mon frere me suive. Je vais le tromper,
lui faire prendre une route opposee a celle que je prends moi-meme. Sur
tout ce que vous avez de plus cher au monde, ne contrariez en rien mon
projet, et croyez-moi sincere. C'est a cela que je verrai si vous m'aimez
veritablement, et si je puis sacrifier sans rougir ma pauvrete a votre
richesse, mon obscurite a votre rang, mon ignorance a la science de votre
esprit. Adieu! mais non: au revoir, Albert. Pour vous prouver que je ne
m'en vais pas irrevocablement, je vous charge de rendre votre digne et
chere tante favorable a notre union, et de me conserver les bontes de votre
pere, le meilleur, le plus respectable des hommes! Dites-lui la verite sur
tout ceci. Je vous ecrirai de Vienne."
L'esperance de convaincre et de calmer par une telle lettre un homme
aussi epris qu'Albert etait temeraire sans doute, mais non deraisonnable.
Consuelo sentait revenir, pendant qu'elle lui ecrivait, l'energie de sa
volonte et la loyaute de son caractere. Tout ce qu'elle lui ecrivait, elle
le pensait. Tout ce qu'elle annoncait, elle allait le faire. Elle croyait a
la penetration puissante et presque a la seconde vue d'Albert; elle n'eut
pas espere de le tro
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