rophe les levres ardentes de son
Premier fiance sur les siennes. Elle retint un cri; et, se penchant sur le
clavier, elle fondit en larmes.
En ce moment le comte Albert rentra, entendit ses sanglots, et vit la
Joie insultante d'Anzoleto. Le chant interrompu par l'emotion de la jeune
artiste n'etonna pas autant les autres temoins de cette scene rapide.
Personne n'avait vu le baiser; et chacun concevait que le souvenir de son
enfance et l'amour de son art lui eussent arrache des pleurs. Le comte
Christian s'affligeait un peu de cette sensibilite, qui annoncait tant
d'attachement et de regrets pour des choses dont il demandait le
sacrifice. La chanoinesse et le chapelain s'en rejouissaient, esperant
que ce sacrifice ne pourrait s'accomplir. Albert ne s'etait pas encore
demande si la comtesse de Rudolstadt pouvait redevenir artiste ou cesser
de l'etre. Il eut tout accepte, tout permis, tout exige meme, pour qu'elle
fut heureuse et libre dans la retraite, dans le monde ou au theatre, a son
choix. Son absence de prejuges et d'egoisme allait jusqu'a l'imprevoyance
des cas les plus simples. Il ne lui vint donc pas a l'esprit que Consuelo
put songer a s'imposer des sacrifices pour lui qui n'en voulait aucun.
Mais en ne voyant pas ce premier fait, il vit au dela, comme il voyait
toujours; il penetra au coeur de l'arbre, et mit la main sur le ver
rongeur. Le veritable titre d'Anzoleto aupres de Consuelo, le veritable
but qu'il poursuivait, et le veritable sentiment qu'il inspirait, lui
furent reveles en un instant. Il regarda attentivement cet homme qui lui
etait antipathique, et sur lequel jusque la il n'avait pas voulu jeter
les yeux parce qu'il ne voulait pas hair le frere de Consuelo. Il vit en
lui un amant audacieux, acharne, et dangereux. Le noble Albert ne songea
pas a lui-meme; ni le soupcon ni la jalousie n'entrerent dans son coeur.
Le danger etait tout pour Consuelo; car, d'un coup d'oeil profond et
lucide, cet homme, dont le regard vague et la vue delicate ne supportaient
pas le soleil et ne discernaient ni les couleurs ni les formes, lisait
au fond de l'ame et penetrait, par la puissance mysterieuse de la
divination, dans les plus secretes pensees des mechants et des fourbes. Je
n'expliquerai pas d'une maniere naturelle ce don etrange qu'il possedait
parfois. Certaines facultes (non approfondies et non definies par la
science) resterent chez lui incomprehensibles pour ses proches, comme
elles le sont pour l'historien
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