pour echanger son verre avec le sien, et pour toucher de ses levres le
cristal que ses levres avaient touche. Et il savait etre tout de feu
pour elle, tout de marbre aux yeux des autres. Il se tenait a merveille,
parlait convenablement, etait plein d'egards attentifs pour la
chanoinesse, traitait le chapelain avec respect, lui offrait les meilleurs
morceaux des viandes qu'il se chargeait de decouper avec la dexterite et
la grace d'un convive habitue a la bonne chere. Il avait remarque que le
saint homme etait gourmand, que sa timidite lui imposait a cet egard de
frequentes privations; et celui-ci se trouva si bien de ses preferences,
qu'il souhaita voir le nouvel ecuyer-tranchant passer le reste de ses
jours au chateau des Geants.
On remarqua qu'Anzoleto ne buvait que de l'eau; et lorsque le chapelain,
par echange de bons procedes, lui offrit du vin, il repondit assez haut
pour etre entendu:
"Mille graces! on ne m'y prendra plus. Votre beau vin est un perfide avec
lequel je cherchais a m'etourdir tantot. Maintenant, je n'ai plus de
chagrins, et je reviens a l'eau, ma boisson habituelle et ma loyale amie."
On prolongea la veillee un peu plus que de coutume. Anzoleto chanta
encore; et cette fois il chanta pour Consuelo. Il choisit les airs favoris
de ses vieux auteurs, qu'elle lui avait appris elle-meme; et il les dit
avec tout le soin, avec toute la purete de gout et de delicatesse
d'intention qu'elle avait coutume d'exiger de lui. C'etait lui rappeler
encore les plus chers et les plus purs souvenirs de son amour et de son art.
Au moment ou l'on allait se separer, il prit un instant favorable pour lui
dire tout bas:
"Je sais ou est ta chambre; on m'en a donne une dans la meme galerie.
A minuit, je serai a genoux a ta porte, j'y resterai prosterne jusqu'au
jour. Ne refuse pas de m'entendre un instant. Je ne veux pas reconquerir
ton amour, je ne le merite pas. Je sais que tu ne peux plus m'aimer, qu'un
autre est heureux, et qu'il faut que je parte. Je partirai la mort dans
l'ame, et le reste de ma vie est devoue aux furies! Mais ne me chasse pas
sans m'avoir dit un mot de pitie, un mot d'adieu. Si tu n'y consens pas,
je partirai des la pointe du jour, et ce sera fait de moi pour jamais!
--Ne dites pas cela, Anzoleto. Nous devons nous quitter ici, nous dire un
eternel adieu. Je vous pardonne, et je vous souhaite....
--Un bon voyage! reprit-il avec ironie; puis, reprenant aussitot son ton
hypocrite: Tu es impi
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