pose avec
d'autant plus de facilite qu'il lui etait plus naturel. S'etant bien
assure que Wenceslawa, en depit de son obstination a ne parler que
l'allemand, la langue de la cour et des sujets bien pensants, ne perdait
pas un mot de ce qu'il disait en italien, il se mit a babiller a tort et
a travers, a feter le bon vin de Hongrie, dont il ne craignait pas les
effets, aguerri qu'il etait de longue main contre les boissons les plus
capiteuses, mais dont il feignit de ressentir les chaleureuses influences
pour se donner l'air d'un ivrogne invetere.
Son projet reussit a merveille. Le comte Christian, apres avoir ri d'abord
avec indulgence de ses bouffonnes saillies, ne sourit bientot plus qu'avec
effort, et eut besoin de toute son urbanite seigneuriale, de toute son
affection paternelle, pour ne pas remettre a sa place le deplaisant futur
beau-frere de son noble fils. Le chapelain, indigne, bondit plusieurs fois
sur sa chaise, et murmura en allemand des exclamations qui ressemblaient a
des exorcismes. Sa refection en fut horriblement troublee, et de sa vie il
ne digera plus tristement. La chanoinesse ecouta toutes les impertinences
de son hote avec un mepris contenu et une assez maligne satisfaction. A
chaque nouvelle sottise, elle levait les yeux vers son frere, comme pour
le prendre a temoin; et le bon Christian baissait la tete, en s'efforcant
de distraire, par une reflexion assez maladroite, l'attention des
auditeurs. Alors la chanoinesse regardait Albert; mais Albert etait
impassible. Il ne paraissait ni voir ni entendre son incommode et joyeux
convive.
La plus cruellement oppressee de toutes ces personnes etait sans contredit
la pauvre Consuelo. D'abord elle crut qu'Anzoleto avait contracte, dans
une vie de debauche, ces manieres echevelees, et ce tour d'esprit cynique
qu'elle ne lui connaissait pas; car il n'avait jamais ete ainsi devant
elle. Elle en fut si revoltee et si consternee qu'elle faillit quitter la
table. Mais lorsqu'elle s'apercut que c'etait une ruse de guerre, elle
retrouva le sang-froid qui convenait a son innocence et a sa dignite. Elle
ne s'etait pas immiscee dans les secrets et dans les affections de cette
famille, pour conquerir par l'intrigue le rang qu'on lui offrait. Ce rang
n'avait pas flatte un instant son ambition, et elle se sentait bien forte
de sa conscience contre les secretes inculpations de la chanoinesse. Elle
savait, elle voyait bien que l'amour d'Albert et la confiance de son per
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