raissait qu'au milieu des froides tenebres et des
visions sanglantes, tandis que le passe, radieux et fecond, elargissait sa
poitrine, et faisait palpiter son sein. Il lui semblait qu'en revant ce
passe, elle entendait sa propre voix retentir dans l'espace, remplir la
nature, et planer immense en montant vers les cieux; au lieu que cette
voix devenait creuse, sourde, et se perdait comme un rale de mort dans les
abimes de la terre, lorsque les sons fantastiques du violon de la caverne
revenaient a sa memoire.
Ces reveries vagues la fatiguerent tellement qu'elle se leva pour les
chasser; et le premier coup de la cloche l'avertissant qu'on servirait le
diner dans une demi-heure, elle se mit a sa toilette, tout en continuant a
se preoccuper des memes idees. Mais, chose etrange! Pour la premiere fois
de sa vie, elle fut plus attentive a son miroir, et plus occupee de sa
coiffure, et de son ajustement, que des affaires serieuses dont elle
cherchait la solution. Malgre elle, elle se faisait belle et desirait de
l'etre. Et ce n'etait pas pour eveiller les desirs et la jalousie de deux
amants rivaux, qu'elle sentait cet irresistible mouvement de coquetterie;
elle ne pensait, elle ne pouvait penser qu'a un seul. Albert ne lui avait
jamais dit un mot sur sa figure. Dans l'enthousiasme de sa passion, il la
croyait plus belle peut-etre qu'elle n'etait reellement; mais ses pensees
etaient si elevees et son amour si grand, qu'il eut craint de la profaner
en la regardant avec les yeux enivres d'un amant ou la satisfaction
scrutatrice d'un artiste. Elle etait toujours pour lui enveloppee d'un
nuage que son regard n'osait percer, et que sa pensee entourait encore
d'une aureole eblouissante. Qu'elle fut plus ou moins bien, il la voyait
toujours la meme. Il l'avait vue livide, decharnee, fletrie, se debattant
contre la mort, et plus semblable a un spectre qu'a une femme. Il avait
alors cherche dans ses traits, avec attention et anxiete, les symptomes
plus ou moins effrayants de la maladie; mais il n'avait pas vu si elle
avait eu des moments de laideur, si elle avait pu etre un objet d'effroi
et de degout. Et lorsqu'elle avait repris l'eclat de la jeunesse et
l'expression de la vie, il ne s'etait pas apercu qu'elle eut perdu ou
gagne en beaute. Elle etait pour lui, dans la vie comme dans la mort,
l'ideal de toute jeunesse, de toute expression sublime, de toute beaute
unique et incomparable. Aussi Consuelo n'avait-elle jamais pense a lui, en
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