cela sans rougir?
--Elle-meme viendra joindre ses prieres aux notres, si vous promettez de
vous laisser flechir. Ne demandez pas plus que la faiblesse de l'humaine
nature ne comporte. Un amant, un pere, peuvent subir l'humiliation et la
douleur d'un refus. Ma soeur ne l'oserait pas. Mais, avec la certitude du
succes, nous l'amenerons dans vos bras, ma fille.
-Monseigneur, dit Consuelo tremblante, le comte Albert vous avait donc dit
que je l'aimais?
--Non! repondit le comte, frappe d'une reminiscence subite. Albert m'avait
dit que l'obstacle serait dans votre coeur. Il me l'a repete cent fois;
mais moi, je n'ai pu le croire. Votre reserve me paraissait assez fondee
sur votre droiture et votre delicatesse. Mais je pensais qu'en vous
delivrant de vos scrupules, j'obtiendrais de vous l'aveu que vous lui
aviez refuse.
--Et que vous a-t-il dit de notre promenade d'aujourd'hui?
--Un seul mot: "Essayez, mon pere; c'est le seul moyen de savoir si c'est
la fierte ou l'eloignement qui me ferment son coeur."
--Helas, monseigneur, que penserez-vous de moi, si je vous dis que je
l'ignore moi-meme?
--Je penserai que c'est l'eloignement, ma chere Consuelo. Ah! mon fils,
mon pauvre fils! Quelle affreuse destinee est la sienne! Ne pouvoir etre
aime de la seule femme qu'il ait pu, qu'il pourra peut-etre jamais aimer!
Ce dernier malheur nous manquait.
--O mon Dieu! vous devez me hair, monseigneur! Vous ne comprenez pas que
ma fierte resiste quand vous immolez la votre. La fierte d'une fille comme
moi vous parait bien moins fondee; et pourtant croyez que dans mon coeur
il y a un combat aussi violent a cette heure que celui dont vous avez
triomphe vous-meme.
--Je le comprends. Ne croyez pas, signora, que je respecte assez peu la
pudeur, la droiture et le desinteressement, pour ne pas apprecier la
fierte fondee sur de tels tresors. Mais ce que l'amour paternel a su
vaincre (vous voyez que je vous parle avec un entier abandon), je pense
que l'amour d'une femme le fera aussi. Eh bien, quand toute la vie
d'Albert, la votre et la mienne seraient, je le suppose, un combat contre
les prejuges du monde, quand nous devrions en souffrir longtemps et
beaucoup tous les trois, et ma soeur avec nous, n'y aurait-il pas dans
notre mutuelle tendresse, dans le temoignage de notre conscience, et dans
les fruits de notre devouement, de quoi nous rendre plus forts que tout ce
monde ensemble? Un grand amour fait paraitre legers ces maux qui vou
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