ation et
la jeunesse de l'ame. Elle avait dit quelquefois a Anzoleto, en cachette
du Porpora, qu'elle aimait mieux certaines barcarolles des pecheurs de
l'Adriatique que toute la science de _Padre Martini_ et de _maestro
Durante_. Les boleros et les cantiques de sa mere etaient pour elle une
source de vie poetique, ou elle ne se lassait pas de puiser tout au fond
de ses souvenirs cheris. Quelle impression devait donc produire sur elle
le genie musical de la Boheme, l'inspiration de ce peuple pasteur,
guerrier, fanatique, grave et doux au milieu des plus puissants elements
de force et d'activite! C'etaient la des caracteres frappants et tout a
fait neufs pour elle. Albert disait cette musique avec une rare
intelligence de l'esprit national et du sentiment energique et pieux qui
l'avait fait naitre. Il y joignait, en improvisant, la profonde melancolie
et le regret dechirant que l'esclavage, avait imprime a son caractere
personnel et a celui de son peuple; et ce melange de tristesse et de
bravoure, d'exaltation et d'abattement, ces hymnes de reconnaissance unis
a des cris de detresse, etaient l'expression la plus complete et la plus
profonde, et de la pauvre Boheme, et du pauvre Albert.
On a dit avec raison que le but de la musique, c'etait l'emotion. Aucun
autre art ne reveillera d'une maniere aussi sublime le sentiment humain
dans les entrailles de l'homme; aucun autre art ne peindra aux yeux de
l'ame, et les splendeurs de la nature, et les delices de la contemplation,
et le caractere des peuples, et le tumulte de leurs passions, et les
langueurs de leurs souffrances. Le regret, l'espoir, la terreur, le
recueillement, la consternation, l'enthousiasme, la foi, le doute, la
gloire, le calme, tout cela et plus encore, la musique nous le donne et
nous le reprend, au gre de son genie et selon toute la portee du notre.
Elle cree meme l'aspect des choses, et, sans tomber dans les puerilites
des effets de sonorite, ni dans l'etroite imitation des bruits reels, elle
nous fait voir, a travers un voile vaporeux qui les agrandit et les
divinise, les objets exterieurs ou elle transporte notre imagination.
Certains cantiques feront apparaitre devant nous les fantomes gigantesques
des antiques cathedrales, en meme temps qu'ils nous feront penetrer dans
la pensee des peuples qui les ont baties et qui s'y sont prosternes pour
chanter leurs hymnes religieux. Pour qui saurait exprimer puissamment et
naivement la musique des peuples divers
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