enticite de mes pieces), apportait le
premier document decisif sur l'infortune de Musset _avant son depart de
Venise_.
Plusieurs ont juge bon de declarer indiscretes ces revelations, alors
que Musset et George Sand ont commence eux-memes a en faire confidence
au public. J'ai cru inutile pourtant de donner certains passages plus
intimes de la lettre citee, qui n'eussent plus laisse de doutes sur la
nature de cette liaison. Le Don Juan feminin qu'etait George Sand, sans
se montrer impitoyable quand il cessait d'aimer, s'obstinait neanmoins,
tout depourvu qu'il etait de scrupules, a derouter la curiosite sur
la legende de ses victimes. Pourquoi refuser a Musset d'etre sorti en
galant homme d'un amour qui fut egalement fatal a tous ceux qui en ont
goute?...
Peut-etre y avait-il mauvaise grace a s'attacher ainsi a la
demonstration des torts d'une femme. Mais la vie de George Sand
n'est-elle pas la raison meme de son genie? Et ce genie, instinctif,
abondant, romantique et declamatoire, ne doit-il pas autant a son
temperament qu'a son atavisme et a son education? "Ce qu'il y a de
meilleur en moi, c'est les autres", ecrivait-elle (ou a peu pres), a
Flaubert. Et dernierement, Mme Clesinger, justement froissee de ce
soudain etalage d'intimites, qui est une des necessites de la gloire, ne
disait-elle pas a ce propos: "Pour moi, le sentiment qui a guide ma mere
et determine ses actes, c'est l'horreur de la solitude. Il lui fallait
autour d'elle du mouvement, quelqu'un a qui parler, sur qui se reposer,
et quelqu'un a proteger...."
Nul doute que la bonte sereine dont s'enveloppa la vieillesse de cette
orageuse nature,--plus belle encore dans ses orages,--ne l'absolve aux
yeux du moraliste, des inquietudes de ses jeunes annees. Ses erreurs du
moins relevent aujourd'hui de l'histoire litteraire: pourquoi ne pas les
constater?
Un grand tumulte de presse accueillit ces revelations. Ce fut
l'evenement du jour, la question litteraire a la mode. Sandistes et
Mussettistes epiloguerent sur l'aventure de Venise, cependant que
maints chroniqueurs, tout en y trouvant le plus rare profit de "copie",
criaient au "scandale", et suppliaient qu'on n'apprit pas davantage au
public que ses grands hommes avaient ete aussi des hommes.
L'ombre de Lelia vit se lever pour elle une armee de paladins. Pendant
quelques jours, la memoire de son poete resta sans defenseurs. M. Emile
Aucante, ancien secretaire de George Sand (et legataire de ses lettre
|