lesquels faisant ma visite
a peu pres journaliere aux Rebizzo, la signora Bianchina me demandait
souvent, avec un malin sourire, si j'avais vu la fumeuse; mais, a la
derniere enquete qu'elle me fit, je tirai de mon portefeuille cette
lettre, que je deposai sur la table ronde, entre elle et son mari
assis a diner. Ils la parcoururent avidement. Elle disait ceci[88]:
[Note 88: Cette lettre a ete publiee pour la premiere fois dans un
article anonyme de l'_Illustrazione italiana_ (de Rome) du 1er mai
1881. Sous ce titre: _Une lettre inedite de George Sand,_ l'auteur
l'accompagnait d'un bref apercu des rapports de Musset, G. Sand et
Pagello a Venise, et d'extraits de lettres a lui recemment adressees par
ce dernier. Nous en donnons la traduction faite par M. de Lovenjoul,
sur le texte photographie de l'autographe qui appartient a M. Minoret.
(_Cosmopolis_ du 15 avril 1896).]
Mon cher monsieur Paiello (Pagello),
Je vous prie de venir nous voir le plus tot que vous pourrez, avec un
bon medecin, pour conferer ensemble sur l'etat du malade francais de
l'Hotel-Royal.
Mais je veux vous dire auparavant que je crains pour sa raison plus
que pour sa vie. Depuis qu'il est malade, il a la tete excessivement
faible, et raisonne souvent comme un enfant. C'est cependant un homme
d'un caractere energique et d'une puissante imagination. C'est un
poete fort admire en France. Mais l'exaltation du travail de l'esprit,
le vin, la fete, les femmes, le jeu, l'ont beaucoup fatigue, et ont
excite ses nerfs. Pour le moindre motif, il est agite comme pour une
chose d'importance.
Une fois, il y a trois mois de cela, il a ete comme fou, toute une
nuit, a la suite d'une grande inquietude. Il voyait comme des fantomes
autour de lui, et criait de peur et d'horreur. A present, il est
toujours inquiet, et, ce matin, il ne sait presque ni ce qu'il dit, ni
ce qu'il fait. Il pleure, se plaint d'un mal sans nom et sans cause,
demande son pays, et dit qu'il est pres de mourir ou de devenir fou!
Je ne sais si c'est la le resultat de la fievre, ou de la
surexcitation des nerfs, ou d'un principe de folie. Je crois qu'une
saignee pourrait le soulager.
Je vous prie de faire toutes ces observations au medecin, et de ne pas
vous laisser rebuter par la difficulte que presente la disposition
indocile du malade. C'est la personne que j'aime le plus au monde, et
je suis dans une grande angoisse de l
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