it sur la
table, et j'en lus quelques passages sans pouvoir y preter la moindre
attention. Ainsi passa une longue heure. Finalement, George Sand
deposa la plume et, sans me regarder ni me parler, elle se prit la
tete entre les mains et resta plus d'un quart d'heure dans cette
attitude, puis, se levant, elle me regarda fixement, saisit le
feuillet ou elle avait ecrit et me dit: "C'est pour vous." Ensuite,
prenant la lumiere, elle s'avanca doucement vers Alfred qui dormait,
et s'adressant a moi:
--Vous parait-il, docteur, que la nuit sera tranquille?
--Oui, repondis-je.
--Alors vous pouvez partir, et au revoir demain matin.
Je partis et rentrai droit a mon logis ou je m'empressai de lire ce
feuillet...
Qu'etait cette page remise par George Sand a Pagello? "Un splendide
morceau poetique", avait ecrit le fils du docteur, avant que son pere ne
se decidat, recemment, a le laisser publier. Un morceau a double fin, un
chapitre de roman imagine par George Sand pour se declarer a Pagello.
Elle le plia dans une enveloppe sans adresse et le lui remit, a raconte
M. le professeur Fontana, d'apres Pagello lui-meme (lettre citee par le
Dr Cabanes[95]). Pagello feignit de ne pas comprendre et demanda a qui
remettre ce pli. "--_Au stupide Pagello_", ecrivit George Sand sur
l'enveloppe.
[Note 95: _Revue hebdomadaire_ du 1er aout 1896.]
Sans reproduire avec le recit du docteur, cette "declaration"
mysterieuse, Mme Luigia Codemo en citait pourtant une phrase qui peut
la resumer: "Je t'aime parce que tu me plais; peut-etre bientot te
hairai-je." Elle ajoutait qu'observant devant l'interesse lui-meme la
beaute de cette page, digne de l'auteur de _Lelia_,--sa propre heroine
sans doute,--Pagello lui avait replique par les premieres paroles du
roman: "Qui es-tu? et pourquoi ton amour fait-il tant de mal[96]?"
[Note 96: L. CODEMO, ouvrage cite, I, p. 165.]
La declaration de George Sand est maintenant connue. Au cours d'une
interview recente, obtenue de Pietro Pagello, a Bellune,--interview des
plus meritoires, celui-ci, nonagenaire et sourd, n'entendant pas
le francais,--M. le Dr Cabanes l'a decide par l'entremise de son
interprete, M. le Dr Just Pagello son fils, a lui livrer ces feuillets
memorables[97].
[Note 97: Dr A. CABANES, _Une visite au Dr Payello. La declaration
d'amour de George Sand_.--_Revue hebdomadaire_ du 24 octobre 1896.]
On y retrouvera l'inspiration et jusqu'au style des premiers c
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