a quitte Musset a "Vicence"?]
C'est du ton le plus degage qu'elle explique a ses correspondants son
intention d'etablir son "quartier general" a Venise, ou elle peut
travailler en paix et vivre economiquement. Elle compte rayonner dans la
region des Alpes, en depensant cinq francs par jour, pousser peut-etre
jusqu'a Constantinople (ce reve de Constantinople reviendra longtemps
dans ses lettres, comme un projet en l'air, de l'etudiante qui veillait
en elle), aller ensuite passer les vacances a Nohant et retourner a ses
lagunes. De sa liaison nouvelle, pas un mot a ses plus intimes amis;
mais tout Paris en etait bientot informe.
Le plus tranquillement du monde et avec cette imperturbable sincerite
qu'elle mettait a concilier son labeur et ses passions, elle associait
sa vie a celle de Pagello. On est d'abord surpris de cette independance,
si l'on songe qu'elle avait en France deux enfants qu'elle adorait et
un mari qui s'accommodait encore de ces libertes d'existence. Mais a se
rappeler ses debuts dans la vie litteraire, on s'en etonne moins.
Apres deux ans et demi d'une organisation boiteuse, entre Nohant ou
elle se cloitrait trois mois sur six et Paris ou elle vivait selon
sa fantaisie, la voici installee a Venise. Quand elle en partira, en
juillet 1834, il y aura huit mois qu'elle n'aura revu ses enfants. L'un
et l'autre sont en pension a Paris.
--La rumeur de ses amours en Italie devait hater la rupture avec M.
Dudevant, qui eut lieu en 1836. Elle s'en etonnera pourtant, dans cette
sereine inconscience de ses torts qui lui faisait ecrire quinze ans plus
tard: "Je ne prevoyais pas que mes tranquilles relations avec mon mari
dussent aboutir a des orages. Il y en avait eu rarement entre nous. Il
n'y en avait plus depuis que nous nous etions faits independants l'un de
l'autre. Tout le temps que j'avais passe a Venise, M. Dudevant m'avait
ecrit sur un ton de bonne amitie et de satisfaction parfaite, me donnant
des nouvelles des enfants et m'engageant meme a voyager pour mon
instruction et pour ma sante. Ses lettres furent produites et lues dans
la suite par l'avocat general, l'avocat de mon mari se plaignant "des
douleurs que son client avait devorees dans la solitude[113]."
[Note 113: _Histoire de ma vie_, 5 deg. partie, chap. III.]
M. Dudevant laissa prononcer la separation contre lui. Autant sa femme
avait recherche l'eclat et le succes, autant il demandait le silence. Il
finit taciturne et oublie, alors que
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