s cent cinquante lieues. Eh bien, tout
cela est parfait, il n'y en a pas si long a dire. Je ne peux pas vivre
sans toi, voila tout. Combien tout cela durera encore, je n'en sais
rien. J'aurais voulu faire ce livre, mais il aurait fallu que je
connusse en detail et par epoque, l'histoire de ta vie. Je connais ton
caractere, mais je ne connais ta vie que confusement. Je ne sais pas
tout, et ce que je sais, je le sais mal. Il aurait fallu que je te
visse, que tu me racontasses tout cela. Si tu avais voulu, j'aurais
loue aux environs de Moulins ou de Chateauroux un grenier, une table
et un lit. Je m'y serais enferme. Tu serais venue m'y voir une ou
deux fois seule, a cheval; moi, je n'aurais vu ame qui vive. J'aurais
ecrit, pleure. On m'aurait cru en Allemagne. Il y aurait eu la
quelques beaux moments. Tu n'aurais cru trahir personne, j'espere. Tu
m'as vu mourant d'amour dans tes bras, la derniere fois; as-tu rien
eu a te reprocher? Mais tous les reves que je peux faire sont des
chimeres; il n'y a de vrai que les phrases, les devoirs et les choses.
Tout est bien, tout est mieux ainsi.
O ma fiancee, je te demande encore pourtant quelque chose. Sors un
beau soir au soleil couchant, seule. Va dans la campagne, assieds-toi
sur l'herbe, sous quelque saule vert. Regarde l'Occident et pense a
ton enfant qui va mourir. Tache d'oublier le reste: relis mes lettres,
si tu les as, ou mon petit livre. Pense, laisse aller ton bon coeur,
donne-moi une larme, et puis rentre chez toi doucement, allume la
lampe, prends ta plume, donne une heure a ton pauvre ami. Donne-moi
tout ce qu'il y a pour moi dans ton coeur; efforce-toi plutot un peu.
Ce n'est pas un crime, mon enfant. Tu peux m'en dire meme plus que tu
n'en sentiras; je n'en saurai rien. Ce ne peut pas etre un crime.
Je suis perdu. Mais qu'il n'y ait rien autre dans ta lettre que ton
amitie pour moi, que ton amour, George; ne l'appelles-tu pas de
l'amour? Ecris a BADEN (GRAND-DUCHE), POSTE RESTANTE. Affranchis
jusqu'a la frontiere, et mets: PRES STRASBOURG. C'est a douze lieues
de Strasbourg. Je n'irai ni plus pres ni plus loin; mais que j'aie une
lettre ou il n'y ait rien que ton amour; et dis-moi que tu me donnes
tes levres, tes dents, tes cheveux, tout cela, cette tete que j'ai
eue, et que tu m'embrasses, toi, moi! O Dieu, o Dieu! quand j'y pense,
ma gorge se serre, mes yeux se troublent, mes genoux chancellent
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