que je ne l'ai ete de ma vie. La vieillesse vient. Le
besoin des grandes emotions est satisfait outre mesure[153]..."
[Note 153: Lettre du 5 mai 1836, citee par S. Rocheblave: _Une amitie
romanesque: George Sand et Mme d'Agoult,_ dans la _Revue de Paris_ du 15
decembre 1894.]
Elle comprendra mieux la _Confession d'un Enfant du siecle_. Le poete
lui est plus indulgent, puisqu'il prend pour lui tous les torts. Elle
fait part de l'emotion que lui a donnee cette lecture a une nouvelle
amie, Mme d'Agoult, qui cache a Geneve sa lune de miel avec Liszt:
... Je vous dirai que cette _Confession d'un Enfant du siecle_
m'a beaucoup emue en effet. Les moindres details d'une intimite
malheureuse y sont si fidelement rapportes depuis la premiere
heure jusqu'a la derniere, depuis la _soeur de charite_ jusqu'a
_l'orgueilleuse insensee_, que je me suis mise a pleurer comme une
bete en fermant le livre. Puis, j'ai ecrit quelques lignes a l'auteur
pour lui dire je ne sais quoi: que je l'avais beaucoup aime, que je
lui avais tout pardonne, et que je ne voulais jamais le revoir. Ces
trois choses sont vraies et immuables. Le pardon va chez moi jusqu'a
ne jamais concevoir une pensee d'amertume contre le meurtrier de mon
amour, mais il n'ira jamais jusqu'a regretter la torture. Je sens
toujours pour lui, je vous l'avouerai bien, une profonde tendresse de
mere au fond du coeur. Il m'est impossible d'entendre dire du mal
de lui sans colere, et c'est pourquoi quelques-uns de mes amis
s'imaginent que je ne suis pas bien guerie. Je suis aussi bien guerie
cependant de lui que l'empereur Charlemagne du mal de dents. Le
souvenir de ses douleurs me remue profondement quand je me retrace ces
scenes orageuses. Si je les voyais se renouveler, elles ne me feraient
plus le moindre effet. Je n'ai plus la foi. Ne me plaignez donc pas,
belle et bonne fille de Dieu. Chacun goute un bonheur, selon son ame.
J'ai longtemps cru que la passion etait mon ideal. Je me trompais, ou
bien j'ai mal choisi[154].
[Note 154: _Revue de Paris_ du 15 decembre 1894, p. 812.]
Cette page etait sincere. George Sand apparait a la fois comme une
amoureuse romanesque et une amante pessimiste, en cela semblable a
Chateaubriand son maitre[155]. Un eternel conflit entre son imagination et
son experience, l'empechant de s'abimer dans une passion, lui a garde
son optimisme. Sa liaison avec Musset, si meurtriere a l'ame du poete,
si elle
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