coupable a tes yeux, mais je le suis
dans le passe. Le present est beau et bon encore: je t'aime; je me
soumettrais a tous les supplices pour etre aime de toi et tu me
quittes! Ah! pauvre homme! vous etes fou. C'est votre orgueil qui vous
conseille. Vous devez en avoir, le votre est beau, parce que votre
ame est belle, mais votre raison devrait le faire taire et vous dire:
"Aime cette pauvre femme, tu es bien sur de ne pas trop l'aimer a
present, que crains-tu? Elle ne sera pas trop exigeante, l'infortunee.
Celui des deux qui aime le moins est celui qui souffre le moins. C'est
le moment de l'aimer ou jamais."
Ses fautes ont profite a son ame. Elle a besoin d'un bras solide pour la
soutenir et d'un coeur sans vanite pour l'accueillir et la conserver.
"Mais ces hommes-la sont des chenes noueux dont l'ecorce repousse, et
toi, poete, belle fleur, j'ai voulu boire ta rosee, elle m'a enivree,
elle m'a empoisonnee, et dans un jour de colere j'ai cherche un
contrepoison qui m'a achevee...."
Son epanchement douloureux remplit des pages et des pages. Elle le
reprend au bout de trois jours pour consigner les precieuses confidences
de trois de ses amis celebres sur l'amour:
Liszt me disait ce soir qu'il n'y avait que Dieu qui meritait d'etre
aime. C'est possible, mais quand on aime un homme, il est bien
difficile d'aimer Dieu. C'est si different! Il est vrai que Liszt
ajoutait qu'il n'a eu de vive sympathie dans sa vie que pour M. de
Lamennais, et que jamais un amour terrestre ne s'emparerait de lui. Il
est bien heureux, ce petit chretien-la! J'ai vu Heine ce matin. Il
m'a dit qu'on n'aimait qu'avec la tete et les sens, et que le coeur
n'etait que pour bien peu dans l'amour. J'ai vu Mme Allart a 2 heures,
elle m'a dit qu'il fallait _ruser_ avec les hommes et faire semblant
de se facher pour les ramener. Il n'y a que Sainte-Beuve qui ne m'ait
pas fait de mal et qui ne m'ait pas dit de sottise. Je lui ai demande
ce que c'etait que l'amour, et il m'a repondu: "Ce sont les larmes;
vous pleurez, vous aimez." Oh! oui, mon pauvre ami, j'aime! J'appelle
en vain la colere a mon secours. J'aime, j'en mourrai, ou Dieu fera un
miracle pour moi: il me donnera l'ambition litteraire ou la devotion:
il faut que j'aille trouver soeur Marthe[139].
[Note 139: La religieuse du couvent des Augustines ou avait ete elevee
G. Sand et aupres de qui elle alla se recueillir plusieurs fois apres
son ma
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