de t'envoyer de temps en temps une petite image de 4 sous,
achetee sur les quais, des cigarettes faites par moi, un oiseau, un
joujou! Quelque chose pour tromper ma douleur et mon ennui; pour me
figurer que tu penses un peu a moi en recevant ces niaiseries!--Oh! ce
n'est pas du calcul, de la prudence, la crainte du monde; sacre Dieu, ce
n'est pas cela! Je dis mon histoire a tout le monde; on la sait, on en
parle, on rit de moi; cela m'est a peu pres egal.
Musset n'a pas cache a son amie qu'il veut se delivrer de cette passion
eternellement, menacante, comme d'un fardeau trop lourd pour sa
faiblesse. Ils ont dine ensemble. Le poete lui a vante sa maitresse du
moment. Elle a compris toute la bassesse de la jalousie, et sa naturelle
bonte, aidee par son orgueil, la pousse maintenant a souhaiter que cette
femme l'apaise et le console: "Qu'elle lui apprenne a croire. Helas! moi
je ne lui ai appris qu'a nier!"
Ce mois de decembre 1834 fut lamentable a George Sand. La pauvre Lelia
connut le desespoir. La fin de son journal intime nous devoile les
affres d'agonie par ou passa son coeur. Le fantome du suicide hanta
reellement cette ame desemparee qui vivait les douleurs de ses fictions
romantiques. Mais sa tendresse profonde pour ses enfants l'en detourna,
et aussi la brulante hantise de cet autre enfant qui tenait decidement
tant de place dans son etre amoureux.
Pourquoi m'avez-vous reveillee, o mon Dieu, quand je m'etendais avec
resignation sur cette couche glacee? Pourquoi avez-vous fait repasser
devant moi ce fantome de mes nuits brulantes? Ange de mort, amour
funeste, o mon destin, sous la figure d'un enfant blond et delicat!
Oh! que je t'aime encore, assassin! Que tes baisers me brulent donc
vite et que je meure consumee! Tu jetteras mes cendres au vent, elles
feront pousser des fleurs qui te rejouiront.
Quel est ce feu qui devore mes entrailles? Il semble qu'un volcan
gronde au dedans de moi et que je vais eclater comme un cratere. O
Dieu, prends donc pitie de cet etre qui souffre tant!
... O mes yeux bleus, vous ne me regardez plus! Belle tete, je ne te
verrai plus t'incliner sur moi et te voiler d'une douce langueur! Mon
petit corps souple et chaud, vous ne vous etendrez plus sur moi, comme
Elisee sur l'enfant mort, pour me ranimer. Vous ne me toucherez plus
la main, comme Jesus a la fille de Jaire, en disant: "Petite fille,
leve-toi." Adieu mes cheveux blonds! Adieu mes blanches
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