s ennuyez pas trop de mon desespoir; j'en ai tant
que je ne peux pas le porter.
Un passage de la cinquieme de ses _Lettres d'un voyageur_, le recit des
amours de Watelet et de Marguerite Leconte, fait allusion a cette crise
de son ame[143]. Mais le journal intime que nous citions plus haut va nous
la preciser davantage.
[Note 143: Remarque de M. de Lovenjoul (article cite de _Cosmopolis_,
p. 440).--Cette cinquieme Lettre a paru dans la _Revue des Deux Mondes_
du 15 janvier 1835 sous le titre de _Lettres d'un oncle_.]
Musset a refuse de revoir sa maitresse, et puis il y a consenti, mais
sans lui rendre encore son amour. Elle comprend, dans sa subtilite de
femme, qu'il agit par faiblesse, car le monde est entre eux. "... Tu ne
peux pas oter de devant tes yeux l'injure qui t'a ete faite par moi,
mais tu ne peux pas oter de ton coeur la compassion et l'amitie. Pauvre
Alfred! Si personne ne le savait, comme tu me pardonnerais!"
Musset a peur de se laisser reprendre a son amour, mais il en meurt
d'envie. Il feint d'etre jaloux de Liszt. Le brave Buloz a conseille
a George Sand de renvoyer le musicien. Elle n'a aucun motif pour le
renvoyer. "Si elle avait pu aimer M. Liszt, elle l'aurait aime de
colere." Mais c'est chose impossible a son coeur.--"Ah! mon cher bon,
s'ecrie-t-elle, si tu pouvais etre jaloux de moi, avec quel plaisir
je renverrais tous ces gens-la!" Helas! elle n'ambitionne pas encore
l'amour, mais seulement l'estime de son cruel ami. Elle l'a dit a Buloz;
c'est son idee fixe; elle sera resignee et patiente; elle se regenerera.
Pour se rehabiliter a _ses_ yeux, elle s'entourera d'hommes purs et
distingues, Liszt, Delacroix, Berlioz, Meyerbeer. On la plaisantera
encore et il prendra une maitresse; mais la verite triomphera. Et cet
invincible amour se fait humble jusqu'a la faiblesse, comme pour effacer
le souvenir des fautes et de la fierte de jadis.
... Quand j'aurai mene cette vie honnete et sage, assez longtemps pour
prouver que je peux la mener, j'irai, o mon amour, te demander une
poignee de main. Je n'irai pas te tourmenter de jalousies et de
persecutions inutiles; je sais bien que quand on n'aime plus, on n'aime
plus. Mais ton amitie, il me la faut, pour supporter l'amour que
j'ai dans le coeur, et pour empecher qu'il me tue. Oh! si je l'avais
aujourd'hui. Helas! que je suis pressee de l'avoir! Qu'elle me ferait de
bien! Si j'avais quelques lignes de toi de temps en temps! Un mot, la
permission
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