ondez que vous n'en savez rien, attendu que je sais
qui vous etes. Le jour ou elle sortira de cette tombe, son visage
portera les marques de vos coups, mais ses larmes les cacheront, et il
y en aura une pour moi."
Mais toi, tu ne vois pas les miennes! Ma fatale jeunesse n'a point
sur le visage un rire convulsif; tu m'as aime, mais ton amour etait
solitaire comme le desespoir. Tu avais tant pleure, et moi si peu! Tu
meurs muette sur mon coeur, mais je ne retournerai point a la vie,
quand tu n'y seras plus. J'aimerai les fleurs de ta tombe comme je
t'ai aimee. Elles me laisseront boire, comme toi, leurs doux parfums
et leur triste rosee, elles se faneront comme toi sans me repondre et
sans savoir pourquoi elles meurent.
Leur amour ne devait pas finir sur cette plainte resignee. Une fois
encore, apres d'autres orages, Musset essaye de s'enfuir. Ce dernier
billet en temoigne:
_Senza veder, senza parlar, toccar la mano d'un pazzo che parte domani_.
(Sans se voir, sans se parler, serrer la main d'un fou qui part demain.)
Il ne put tenir sa parole, et c'est George Sand qui eut le courage d'en
finir: "Non, non, c'est assez! pauvre malheureux, je t'ai aime comme mon
fils, c'est un amour de mere, j'en saigne encore. Je te plains, je te
pardonne tout, mais il faut nous quitter, j'y deviendrais mechante...
Plus tu perds le droit d'etre jaloux, plus tu le deviens! Cela ressemble
a une punition de Dieu sur ta pauvre tete. Mais, mes enfants a moi!
Oh! mes enfants! Adieu! adieu! malheureux que tu es! Mes enfants! mes
enfants!"
Ce n'est plus l'amour de lionne, l'amour desespere des nuits affolees de
decembre. Elle est epuisee a son tour, et la lassitude ramene la raison.
Elle aura la force de briser ses liens: la mere delivre l'amante.
Sainte-Beuve a ete chez Musset pour le supplier de ne plus la revoir[148].
Elle sent bien que seule l'absence empechera le malheureux de revenir
toujours. Son retour a Nohant decide, elle ecrit a Boucoiran de "l'aider
a partir". Il s'agit de "tromper l'inquietude d'Alfred", d'arriver chez
elle en feignant de mauvaises nouvelles de Mme Dupin. Elle sortira
aussitot comme pour courir chez sa mere,--mais prendra le courrier de
Nohant[149].
[Note 148: Ne l'ayant pas trouve, il lui ecrit sur une carte de
visite: "Mon cher ami, je venais vous voir pour vous prier de ne plus
voir ni recevoir la personne que j'ai vue ce matin si affligee. Je vous
ai mal conseille en voulant vou
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