gements. Elle la continuera huit
jours, epanchant le trop-plein de son coeur avec cette abondante et
claire eloquence qui est tout son genie[138].
[Note 138: G. Sand remit plus tard ce journal intime a Musset. Mme
Jaubert, chez qui le poete l'avait depose, en prit copie. Il est inedit.
Mais P. de Musset s'en est servi dans _Lui et Elle_, chap. xv. Maintes
phrases sont textuellement reproduites. Mme Arvede Barine en a donne
aussi de courts fragments, pp. 83-87.]
Ce soir donc, elle est allee aux Italiens,--en bousingot;--croyant se
distraire, elle s'y est ennuyee. On l'a remarquee, on l'a trouvee jolie.
Jolie pour qui, helas! Ces compliments-la, depuis huit jours la laissent
insensible.--Elle a pose chez Delacroix, qui lui a fait plaisir en lui
vantant les croquis de l'album d'Alfred. Elle n'a pu resister au besoin
de lui parler de sa douleur. Il lui a conseille de ne pas avoir de
courage: "Laissez-vous aller, disait-il; quand je suis ainsi, je ne fais
pas le fier, _je ne suis pas ne romain_. Je m'abandonne a mon desespoir;
il me ronge, il m'abat, il me tue; quand il en a assez, il se lasse a
son tour, et il me quitte."
Son chagrin a elle augmente tous les jours. Elle se retient d'aller
casser le cordon de la sonnette d'Alfred jusqu'a ce qu'il lui ouvre, de
se coucher en travers de sa porte....
... Si je me jetais a son cou, dans ses bras; si je lui disais: "Tu
m'aimes encore, tu en souffres, tu en rougis, mais tu me plains trop
pour ne pas m'aimer. Tu vois bien que je t'aime, que je ne peux aimer
que toi; embrasse-moi, ne me dis rien, ne discutons pas. Dis-moi
quelques douces paroles, caresse-moi puisque tu me trouves encore
jolie malgre mes cheveux coupes, malgre les deux grandes rides qui
se sont formees depuis l'autre jour sur mes joues. Eh bien, qua
tu sentiras ta sensibilite se lasser et ton irritation revenir,
renvoie-moi, maltraite-moi, mais que ce ne soit jamais avec cet
affreux mot: _derniere fois!_ Je souffrirai tant que tu voudras; mais
laisse-moi quelquefois, ne fut-ce qu'une fois par semaine, venir
chercher une larme, un baiser, qui me fasse vivre et me donne du
courage.--Mais tu ne peux pas! Ah! que tu es las de moi! Et que tu
t'es vite gueri aussi, toi! Helas, mon Dieu, j'ai de plus grands torts
certainement que tu n'en eus a Venise, quand je me consolai. Mais tu
ne m'aimais pas, et la raison egoiste et mechante me disait: _Tu fais
bien!_ A present, je suis encore
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