dire? il part et je ne le retiendrai pas, parce que je
suis offensee jusqu'au fond de l'ame, de ce qu'il m'ecrit, et que, je le
sens bien, il n'a plus la foi et par consequent il n'a plus d'amour. Je
le verrai s'il est encore a Paris; je vais y retourner dans l'intention
de le consoler; me justifier, non; le retenir non.... Et pourtant
je l'aimais sincerement et serieusement, cet homme genereux, aussi
romanesque que moi et que je croyais plus fort que moi."
Dans sa solitude morale, Pagello s'etait souvenu d'Alfred Tattet, l'ami
de Musset, qui, a Venise, etait devenu un peu son ami. Il lui avait
ecrit le 6 septembre, quel vif desir il avait de le revoir et de
l'embrasser. Ils se rencontrerent, Pagello lui ouvrit son coeur simple,
et a la veille de retourner a ses lagunes, il lui adressa ce billet
d'adieu: "Mon bon ami, avant de partir, je vous envoie encore un
baiser. Je vous conjure de ne souffler jamais mot de mon amour avec
la George.--Je ne veux pas de vengeances.--Je pars avec la certitude
d'avoir agi en honnete homme.--Ceci me fait oublier ma souffrance et ma
pauvrete.--Adieu, mon ange.--Je vous ecrirai de Venise.--Adieu, adieu."
Il vecut tranquille a Venise, considerant de loin le sillage de gloire
qui suivait a travers le siecle celle qui avait ete son amie d'un jour.
Des relations cordiales mais lointaines s'etablirent entre George Sand
et lui. "Jeunette encore, m'ecrit Mme Antonini, quand je m'exercais dans
la langue francaise, il me souvient d'avoir ecrit sous la dictee de mon
pere a George Sand, et que celle-ci fut toujours des mieux disposees
pour tous ceux que lui recommandait son ami Pagello, parmi lesquels
Daniel Manin."--Les plus ardents souvenirs de Lelia cedaient toujours
devant son imperieux besoin d'amitie: sa bonte d'instinct, comme son
genie, etaient des forces de la nature.
VIII
Musset n'a pas attendu le depart de Pagello pour revenir a George Sand.
Entierement repris par elle, repentant, genereux, seduisant et soumis,
il a su l'attendrir. Voici qu'il ne peut s'en passer.
Telle est l'emprise de l'amour sur tout son etre que, devant la chere
presence, il ne s'appartient plus. Dominee par une impatience de jouir
profonde et desesperee, sa pauvre ame d'enfant perdu consume d'incurable
tendresse, s'agite dans un long tourment. Il a fait sa religion du
sentiment qui regne sur sa vie. La volonte n'existe plus en lui que pour
l'amour. Son orgueil contrarie sans cesse dans le souhait unique d
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