e ne jouissais pas depuis longtemps.
Boucoiran fut mon mentor et mon ange tutelaire. Huet, Lisfranc,
Amussat, trois illustres medecins, me prodiguerent les amabilites
et m'aiderent a acquerir de nouvelles lumieres dans les sciences
medicales. Et de funestes pensees survenaient pour me travailler
l'esprit, lorsque de ce monde bruyant et agite je passais dans la
solitude de ma chambrette, le portrait de ma mere m'inspirait des
paroles d'inexprimable consolation et je trouvais le courage de defier
ma pauvrete et mon tenebreux avenir.
Peu de temps apres, une lettre de George Sand m'annoncait la vente de
mes tableaux pour 1500 francs. Je crus etre devenu un Rothschild, et
dans l'extase de la joie je courus me procurer une boite d'instruments
de chirurgie avec quelques livres nouveaux pour mon etat. Un nouvel
envoi de 500 francs qu'elle me fit quelques jours apres, me mit en
mesure de vivre sobrement pendant un mois encore, reservant les 500
francs supplementaires qu'elle-meme devait m'apporter pour retourner
a Venise. Le temps, qui est un grand honnete homme, amena le jour
redoute et desire par moi du retour de la Sand a Paris. J'eus d'elle
les autres 500 francs, je preparai mon bagage, et, deux jours apres,
j'allai chez George Sand ou Boucoiran m'attendait. Nos adieux furent
muets; je lui serrai la main sans pouvoir la regarder. Elle etait
comme perplexe: je ne sais pas si elle souffrait; ma presence
l'embarrassait. Il l'ennuyait, cet Italien qui, avec son simple
bon sens, abattait la sublimite incomprise dont elle avait coutume
d'envelopper la lassitude de ses amours. Je lui avais deja fait
connaitre que j'avais profondement sonde son coeur plein de qualites
excellentes, obscurcies par beaucoup de defauts. Cette connaissance
de ma part ne pouvait que lui donner du depit, ce qui me fit abreger,
autant que je pus, la visite. J'embrassai ses enfants et je pris le
bras de Boucoiran qui m'accompagna et me laissa au point ou vous
m'avez trouve.
Pagello quitta Paris le 23 octobre, convaincu que la situation etait
insoutenable. Un invincible renouveau d'amour avait surgi pour George
Sand et Musset. Elle, pourtant, n'avait cesse d'estimer, d'aimer
peut-etre Pagello, dans ce coeur double par generosite qui ne pouvait se
resoudre a sacrifier l'un ou l'autre, les faisant tous deux malheureux.
"Tout de moi _le_ blesse et l'irrite, ecrivait-elle au poete, et,
faut-il te le
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