es mots a l'oreille de Buloz; apres
quoi celui-ci, qui m'avait a peine remarque, prit ses lunettes et, me
regardant avec discretion et courtoisie du seul oeil qui lui restait,
me fit les plus gracieuses questions, les offres les plus courtoises,
et finit par me donner une carte avec laquelle je pouvais entrer, en
qualite de journaliste, dans quelque theatre ou spectacle que ce fut.
Je la mis dans ma poche en le remerciant; puis je pris conge, en
souriant de mon importance litteraire. La carte equivalait a une
nomination de journaliste.
Buloz est une celebrite connue de tout Paris ainsi que des deux mondes
ou rayonne son fameux journal. Ici je ne puis m'abstenir de signaler
ce qui me fut le plus agreable: qu'il m'ait offert de travailler a sa
revue, me sachant collaborateur de George Sand pour les _Lettres d'un
voyageur_. Il me donna de curieux eclaircissements sur le groupe
litteraire qu'il presidait. Je lui reconnus un tact tres fin, des
manieres franches, un excellent coeur et un rare bon sens.
... Je vous jure que Buloz, a son bureau, est un veritable impresario
d'opera. Il a ses tenors, ses _prime donne_, ses _contralti_, ses
basses, ses secondes parties et ses choeurs, c'est une joie que de
voir cet homme s'agiter avec sa _virtuose canaille_ et suivant les
convenances particulieres de chacun. Ils sont excellemment payes selon
leur categorie, mais ils sont presque tous en dette de travaux.
La table de Buloz est toujours couverte de lettres, de billets, de
sollicitations de toute sorte, pour de l'argent, de l'argent, de
l'argent, et cela contre la seule garantie de l'argument d'un
article, d'une histoire, d'un recit encore gisant dans l'esprit de
l'auteur,--qui promet de le livrer dans quinze jours, un mois, un
an.... Je me suis convaincu qu'en general il vaut mieux connaitre de
loin les celebrites litteraires: j'ai su des choses a confondre,
sur la vie privee de ces monstres de grands hommes. Figurez-vous
Chateaubriand, le plus grand, le plus moral des poetes francais de
ce siecle: il joue et il perd dans une nuit, par anticipation, une
edition nouvelle de ses oeuvres.... Il se fait batir une maison
delicieuse, tout incrustee de marbres rapportes de Grece: il la perd
egalement au jeu.
Et connaissez-vous les desordres financiers de Lamartine?... Je vous
dis qu'a peu pres tous sont dans le meme genre.
Je trouvai a Paris une paix dont j
|