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d'ailleurs, eu serait digne! Au milieu de mes chagrins, je sens bien
que j'ai un tresor dans le coeur: je ne puis l'ouvrir a personne.
Songes-tu a ce qui s'amasse pendant tant de nuits dans cette petite
chambre, tant de jours solitaires? Et des que je veux t'ecrire, tout
se presse jusqu'a m'etouffer. Mais je souffre, amie, et qu'importe
de quoi je souffre? Tu me plaindras, tu ne te degouteras pas de moi.
Figure-toi que c'est une autre que j'aime et que c'est une maladie
que j'ai. Dieu m'est temoin que je lutte. Tu me dis que tu es dans un
singulier etat moral, entre une vie qui n'est pas finie et une autre
qui n'est pas commencee. Et moi, ou penses-tu que j'en sois? En
verite, on dit que le temps guerit tout. J'etais cent fois plus fort
le jour de mon arrivee qu'a present. Tout croule autour de moi.
Lorsque j'ai passe la matinee a pleurer, a baiser ton portrait, a
adresser a ton fantome des folies qui me font fremir, je prends mon
chapeau, je vais et je viens. Je me dis qu'il faut en finir d'une
maniere quelconque. (_Lettre du 10 mai_.)
Aucune distraction ne reussit a le soulager. Il voudrait partir; il ira
sans doute a Aix-les-Bains, en juillet, pour l'attendre a son retour de
Venise.... "Si tu es seule, je reviendrai passer quelques mois avec toi.
Si tu es avec Pietro, je vous serrerai la main et j'irai a Naples et de
la a Constantinople, si je suis assez riche...."
... Tu me parles de gloire, d'avenir. Je ne puis rien faire de bon.
A quoi bon dire ce que j'ai dans l'ame? J'etais muet quand je t'ai
connue. A present, je ne le suis plus. Mais je n'ai personne pour
m'entendre, et je n'ai encore rien dit. Tout est la. J'etends les bras
dans le vide, et rien! Eu verite, je jette sur les femmes de bien
tristes regards. J'ai encore un reste de vie a donner au plaisir et
un coeur tout entier a donner a l'amour. Peut-etre y en a-t-il qui
accepteraient; mais moi, accepterai-je? Ou me mene donc cette main
invisible qui ne veut pas que je m'arrete? Il faut que je parle. Oui,
il faut que je cesse de pleurer tout seul et de me manger le coeur,
pour nourrir mon coeur. Il me faut un corps dans ces bras vides; il
faut que j'aie une maitresse, puisque je ne puis me faire moine. Tu me
parles de sante, de menagements, de confiance en l'avenir: tu me dis
d'etre tranquille, et c'est toi, toi qui viens de m'ouvrir les veines;
tu me dis d'arreter mon sang! Qu'ai-je fait de
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