m'as laisse un souvenir plus sur et plus precieux que tous les
souvenirs de la possession," _(Lettre du 26 juin_.)
La derniere lettre de Musset adressee a Venise, le 10 juillet, a ete
detruite "parce qu'elle contenait une confidence". On en a garde du
moins quelques lignes relatives au retour attendu de George avec le "bon
docteur", et ce trait qui nous prepare a la rencontre des amants:
"--Dites-moi, Monsieur, est-ce vrai que "Mme Sand soit _une femme
adorable_?" Telle est l'honnete question qu'une belle bete m'adressait
l'autre jour. La chere creature ne me l'a pas repetee moins de trois
fois pour voir si je varierais mes reponses.--"Chante, mon "brave coq,
me disais-je tout bas, tu ne me "feras pas renier, comme saint Pierre."
VII
Apres cinq mois de vie commune a Venise, George Sand et Pagello partent
pour Paris. Les dernieres lignes que nous avons citees du naif journal
du docteur nous signalent chez eux un etat d'ame assez melancolique,
sans le trop preciser. De George Sand elle-meme nous n'apprendrons rien:
nous savons qu'elle n'avoue jamais... Cette grande sincere--pour les
autres--s'acharne a tout dissimuler de sa vie vraie... Deja elle
s'obstinait a reagir contre sa legende, legende qui offensait son ame
hautaine et bourgeoise. Elle preludait a ce role de _Matriarche_ qui
devait faire venerer sa vieillesse.
Lasse, a coup sur, de sa mediocrite venitienne et des petits interets
de son honnete amant, elle ne songeait plus qu'a revoir ses enfants,--a
retrouver aussi le poete qui l'avait quittee, qui l'adorait encore,
qu'elle-meme avait aime jadis.
Ce depart de George Sand avec Pagello, apres cinq mois de calme
tete-a-tele, nous apparait, pour lui, maussade et triste, mais pour
elle liberateur. Son ame compliquee est-elle impatiente de nouvelles
souffrances?... Reprenons le recit du docteur.
J'eus, avec beaucoup de difficultes, un passeport, et je partis avec
elle pour Milan sans prendre conge de mes parents ni de mes amis, et
sans dire a personne si ni quand je reviendrais.
De Milan, j'ecrivis a mon pere:
"Je n'ai pas repondu a la lettre dans laquelle tu me blamais de vivre
avec une etrangere, perdant ma jeunesse, ruinant ma carriere, reniant
publiquement ces principes de morale chretienne qui me furent
inculques par la meilleure des meres; je n'ai pas repondu a cette
lettre parce que je ne savais pas me disculper et que je dedaignais de
mentir avec de fausses promesses.
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