joie sans fin.
... Crois-moi, mon George; sois sure que je vais m'occuper de tes
affaires. Que mon amitie ne te soit jamais importune. Respecte-la
cette amitie plus ardente que l'amour. C'est tout ce qu'il y a de bon
en moi. Pense a cela, c'est l'ouvrage de Dieu. Tu es le fil qui me
rattache a lui. Pense a la vie qui m'attend. (_Lettre du 4 avril_.)
George etait donc bien rassuree sur le coeur de son poete.
Elle lui dissimulait encore la pleine verite de ses relations avec
Pagello, son installation complete chez lui:
"Je vis a peu pres seule. Rebizzo vient me voir une demi-heure, le
matin. Pagello vient diner avec moi et me quitte a huit heures. Il est
tres occupe de ses malades dans ce moment-ci, et son ancienne maitresse
_(l'Arpalice)_ qui s'est reprise pour lui d'une passion feroce depuis
qu'elle le croit infidele, le rend veritablement malheureux..." Nous
savons ce qu'il faut penser de cette solitude de George Sand. Mais
c'etait alors charite de sa part, que de dissimuler a Musset sa vraie
vie a Venise.
Sur le long et triste voyage du poete, nous ne savons d'autres details
que ceux qu'il donne dans ses lettres. Il n'avait de regards que pour sa
douleur. Cette obsession d'une rupture qui devait laisser a son ame
un inoubliable dechirement, ne quitta jamais sa memoire. Ceux qui ont
pretendu, et Paul de Musset lui-meme, que le chagrin de cet amour perdu
s'etait peu a peu efface de son coeur, negligent certains vers de lui,
non point parfaits mais precieux pour sa biographie, _Souvenir des
Alpes_, dates de 1851. Il y evoque simplement un episode de sa vie
interieure pendant ce melancolique retour en France, et on y sent des
larmes.
Rappelons-en quelques strophes: ces vers sont parmi les derniers qu'ait
publies Musset:
Fatigue, vaincu, brise par l'ennui,
Marchait le voyageur dans la plaine alteree,
Et du sable brulant la poussiere doree
Voltigeait devant lui.
Devant la pauvre hotellerie
Sur un vieux pont, dans un site ecarte,
Un flot de cristal argente
Caressait la rive fleurie.
La le coeur plein d'un triste et doux mystere
Il s'arreta silencieux,
Le front incline vers la terre;
L'ardent soleil sechant les larmes dans ses yeux.
Aveugle, inconstante, o fortune!
Supplice enivrant des amours!
Ote-moi, memoire importune,
Ote-moi ces yeux que je vois toujours!
Pourquoi dans leur beaute supreme,
Pourquoi les ai-je vus briller?
Tu ne veux plus que
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