ment ce que j'avais vu et entendu et me soutint que
tout cela etait une invention de la fievre. Malgre l'assurance dont
elle faisait parade, elle craignait qu'en presence de Pagello il lui
devint impossible de nier, et elle voulut le prevenir, probablement
meme lui dicter les reponses qu'il devrait me faire lorsque je
l'interrogerais. Pendant la nuit, je vis de la lumiere sous la porte
qui separait nos deux chambres. Je mis ma robe de chambre et j'entrai
chez George. Un froissement m'apprit qu'elle cachait un papier dans
son lit. D'ailleurs elle ecrivait sur ses genoux et l'encrier etait
sur sa table de nuit. Je n'hesitai pas a lui dire que je savais
qu'elle ecrivait a Pagello et que je saurais bien dejouer ses
manoeuvres. Elle se mit dans une colere epouvantable et me declara
que si je continuais ainsi, je ne sortirais jamais de Venise. Je lui
demandai comment elle m'en empecherait. "En vous faisant enfermer dans
une maison de fous", me repondit-elle. J'avoue que j'eus peur. Je
rentrai dans ma chambre sans oser repliquer. J'entendis George Sand
se lever, marcher, ouvrir la fenetre et la refermer. Persuade qu'elle
avait dechire sa lettre a Pagello et jete les morceaux par la fenetre,
j'attendis le point du jour et je descendis en robe de chambre dans la
ruelle. La porte de la maison etait ouverte, ce qui m'etonna beaucoup.
Je regardai dans la rue et j'apercus une femme en jupon enveloppee
d'un chale. Elle etait courbee. Elle cherchait quelque chose a terre.
Le vent etait glacial. Je frappai sur l'epaule de la chercheuse, lui
disant, comme dans le _Majorat_: "George, George, que viens-tu faire
ici a cette heure? Tu ne retrouveras pas les morceaux de ta lettre. Le
vent les a balayes; mais ta presence ici me prouve que tu avais ecrit
a Pagello."
Elle me repondit que je ne coucherais pas ce soir dans mon lit;
qu'elle me ferait arreter tout a l'heure; et elle partit en courant.
Je la suivis le plus vite que je pus. Arrivee au Grand-Canal, elle
sauta dans une gondole, en criant au gondolier d'aller au Lido; mais
je m'etais jete dans la gondole, a cote d'elle, et nous partimes
ensemble. Elle n'ouvrit pas la bouche pendant le voyage. En debarquant
au Lido, elle se remit a courir, sautant de tombe en tombe dans le
cimetiere des Juifs. Je la suivais et je sautais comme elle. Enfin
elle s'assit epuisee sur une pierre sepulcrale. De rage et de depit,
elle se m
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