l a savoure l'arome,
il rapporte un miel bien a lui, bien francais. Que lui importe ce qu'on
qualifie d'originalite! Ces entrainements de l'opinion ne prouvent bien
souvent que mepris du genie en faveur du talent... Si sa voix devient
l'echo melancolique des jeunes ames de son milieu et de son temps, il
n'aspirera pas plus haut. En ne chantant que pour lui-meme, il chantera
au nom de tous.
Si restreint qu'en soit l'espace, il prefere sa fantaisie a tout ce
qui peut brider l'independance d'enfant gate qui fait le naturel et le
charme de son esprit,--meme la recherche trop precise de pittoresque,
meme les conceptions trop hautes de la philosophie. Il en fera toujours
le sacrifice a ce gout leger mais sur, conscient de sa valeur francaise,
qui se contente de sentir harmonieusement. Oui, surtout, ame francaise,
francaise, jusqu'a l'agacement, coeur loyal, esprit fin et de race
toujours, elegant et hautain dans sa feminine faiblesse, ce poete qu'on
a voulu nous faire prendre pour un don Juan de tavernes et de mauvais
lieux.
L'homme d'amour qu'il nous peindra, en ne racontant que lui-meme, n'est
si humain, entre tous ceux de nos poetes, que parce qu'il est le plus
faible. On a dit de Musset qu'il etait le grand poete de ceux qui
n'aiment pas les vers. C'etait avouer qu'il a touche le coeur de tous,
ce libertin a l'ame mystique, ce debauche assoiffe d'amour pur, ce
spirituel et ce triste. "Un jeune homme d'un bien beau passe", l'avait
ironiquement juge Henri Heine. Il l'avait pourtant bien compris, lui qui
a tout compris, le jour qu'il ecrivait: "La Muse de la Comedie l'a baise
sur les levres, la Muse de la Tragedie, sur le coeur."
La vie et le genie de Musset sont tout entiers dans sa jeunesse. La
jeunesse lui semblait sacree, comme l'unique raison de la vie et sa plus
certaine beaute. C'est pourquoi il n'a d'autre histoire que celle de son
coeur.
Quand il rencontre George Sand, c'est encore l'enfant sublime, et deja
l'enfant perdu. Mais le profond du coeur n'est pas atteint. Certes, il a
vecu sans trop de mesure, parfois meme il a fait parade de ses
debauches de jeunesse. Mais il entre dans ce snobisme un peu de la mode
romantique, cette recherche du fatal et de l'etrange, qui lui a inspire
son premier livre si peu connu, _l'Anglais mangeur d'opium_ (adapte de
Thomas de Quincey)[2].
[Note 2: _L'Anglais mangeur d'opium,_ traduit de l'anglais par A. D.
M., 1 vol. in-18. Paris, Marne et Pincebourde, 1828.]
George
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