llet 1833.]
Ces trois mois sans passion n'ont pas ete trois mois de calme. Ses
confidences a Sainte-Beuve recommencent en mai; elle est grave et le
sermonne a son tour. Mais la revoila, en juin, dans un grand trouble:
son ami lui devient un refuge. A la voir s'abandonner ainsi, on est
tente de s'etonner qu'elle n'ait pas reve un instant a changer sa
veneration en tendresse. La liaison qui le garde d'elle l'aurait-elle
agacee de quelque jalousie? Vraisemblablement, elle a recu de son
directeur une lettre amere. Peut-etre deja l'ennuie-t-elle. Mais elle ne
se decourage pas. Sa plainte est longue, nerveuse et douloureuse. Elle
se dit seule, desenchantee de tout: l'amitie meme n'existe pas! Mais
Sainte-Beuve l'a rassuree. Dans une lettre du 3 aout, elle semble
apaisee. Quelque chose de nouveau a surgi dans sa vie.--"Pour rien au
monde, lui ecrit-elle, je ne voudrais abuser de votre devouement." Et
elle se fait protectrice a son tour.
Ce qui a surgi dans sa vie, c'est un nouvel amour, un amour inconnu,
tout de fraicheur, de poesie et de tendresse, qui lui rapporte tout a
coup les illusions de la jeunesse et de l'esperance.
Tous les biographes de Musset ont ecrit qu'il avait rencontre George
Sand au printemps de 1833. En realite leurs relations ne datent que de
la fin de juin. Nous savons que Sainte-Beuve voulait des le mois de mars
presenter le poete a son amie, et qu'elle avait refuse, le trouvant
trop... different pour ses habitudes. "A propos, reflexion faite,
ecrivait-elle, je ne veux pas que vous m'ameniez Alfred de Musset. Il
est trop dandy, nous ne nous conviendrions pas, et j'avais plus de
curiosite que d'interet a le voir. Je pense qu'il est imprudent
de satisfaire toutes ses curiosites, et meilleur d'obeir a ses
sympathies[15]." De son cote peut-etre, Musset se defiait de la
romanciere sur sa legende deja tapageuse. Mme Lardin de Musset me
rapporte qu'il disait alors: "Elle n'a donc jamais rencontre un
homme convenable? Comme tous ses heros me deplaisent!" Ces reserves
expliqueraient le retard de leur rencontre. Mais leur rencontre
etait fatale. Et sans doute un instinct secret les avertissait-il de
l'approche de la souffrance, ce vertige de l'abime, ou s'eveille le
genie des poetes.
[Note 15: _Portraits contemporains_, I, 510.]
Tous deux collaboraient a la _Revue des Deux Mondes_ et le groupe de
Buloz frequentait plus ou moins chez George Sand. La plus ancienne
mention de son nom sous la plume de Musset
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