. Aux regards melancoliques de la
victime, Alfred comprit qu'elle obeissait a l'autorite superieure, et,
comme il n'avait rien a se reprocher, il demanda des explications avec
tant d'insistance qu'on ne put les lui refuser. On remonta jusqu'a la
source du mechant propos. Planche essaya de nier; mais, au pied du mur,
il fut oblige d'avouer qu'il l'avait tenu. L'indignation du pere
se tourna contre lui. A la sortie du bal, ce pere irrite guetta le
calomniateur et lui donna de sa canne sur le dos[47]."
[Note 47: PAUL DE MUSSET, _Biographie d'Alfred de Musset_, p. 80.
Petit in-12, Paris, Lemerre.]
L'aventure fit quelque bruit dans le Cenacle. La mesaventure de Planche
excita les quolibets. Mme Lardin de Musset, m'evoquant les souvenirs
de son enfance,--elle etait de beaucoup plus jeune que ses freres,--me
rapporte une plaisanterie qui fit le tour de Paris: "Quand le feu de
Planche s'eteint, disait-on, il ne demande plus: "Donnez-moi du bois",
mais: "Donnez-moi des buches." Ajoutons que c'est a Mlle Hermine Dubois
qu'Alfred de Musset adressa ses parfaites strophes: _A Pepa_, un des
plus purs joyaux de son oeuvre.
L'inimitie de Planche pour Musset devait s'accroitre avec la renommee
du poete. Il jugea ses livres selon la bienveillance qu'on peut penser.
L'amitie de George Sand pour ce nouveau venu de la gloire porta le
dernier coup a son ame jalouse. Un refroidissement entre elle et Planche
est sensible des le milieu de juillet 1833. L'execution du pauvre
_Diogene,_ que Paul de Musset nous a contee, avait immediatement precede
l'installation du poete au quai Malaquais. Sans se brouiller pour cela
avec Planche, George Sand le maintint dans des rapports plus reserves.
Il ne devait lire _Lelia_ qu'un mois apres Musset, huit jours apres
l'apparition du volume, ainsi qu'en temoigne l'envoi autographe de
l'auteur: "_A Gustave Planche, son veritable ami_, GEORGE SAND, 15 aout
1833[48]." Mais cette sympathie ne lui suffisait pas. Un depit violent
couvait, dans son ame. Il espera forcer les sentiments de son amie par
une action d'eclat.
[Note 48: C'est le catalogue de l'importante bibliotheque romantique
de M. Noilly, vendue en 1881, qui me fournit ce document.]
Les attaques commencaient a pleuvoir sur _Lelia_. L'_Europe litteraire_
se signala particulierement dans ce sens. Cette publication toute
recente publia coup sur coup deux articles signes Capo de Feuillide, ou
George Sand etait violemment prise a partie[49]. "Je suis
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